Cher connard – Virginie Despentes
Grasset, 2022, 352 pages
« Le succès social… est
comme un bébé éléphant qu’il te faudrait nourrir constamment et soigner et
sortir et amuser. »
A travers un échange épistolaire
entre Rebecca, ancienne actrice de premier plan, et Oscar, romancier, Virginie
Despentes livre, selon l’éditeur (et je le rejoins), un « roman de rage
et de consolation, de colère et d’acceptation… ». C’est un roman
ultra-contemporain qui passe notre époque au scanner avec le franc-parler de l’autrice,
une sorte de constat pas très reluisant, bien que parfois sentimental.
Cinq ans après le dernier tome de
Vernon Subutex, dire que j’étais impatiente de relire Despentes est faible ;
j’étais aussi consciente de placer la barre assez haut. Pour autant, le début a
été à la hauteur de mes attentes : le ton qui pique et plein d’humour m’a
fait sortir de la torpeur littéraire dans laquelle mon cerveau barbotait. L’autrice
rappelle aussi d’office sa capacité à s’emparer d’un sujet. Cependant, là où le
roman s’enlise, c’est dans l’accumulation des domaines abordés : le
mouvement #metoo, la drogue, l’ascenseur social en panne, les réseaux sociaux,
le confinement, le monde du cinéma, etc. L’absence de structure rend l’ensemble
peu lisible, cacophonique ; en outre, Rebecca se laisse aller à de longs
discours qui partent dans tous les sens : je me suis parfois copieusement
ennuyée. Ajoutons qu’en tant que Madame Toulemonde qui ne s’intéresse pas du
tout à la vie des stars, j’ai trouvé les déboires d’une actrice vieillissante relevant
surtout des jérémiades (sur un sujet proche – les actrices noires – je recommande
le recueil collectif Noire n’est pas mon métier). Ne parlons pas des (très)
longs paragraphes sur la drogue. Globalement, Rebecca m’est sortie par les yeux ;
Zoé, la victime d’Oscar, m’a copieusement agacée elle aussi ; j’étais
gênée qu’Oscar soit le seul personnage qui me touche par moment. Finalement, c’est
la grande réussite de Despentes : opter pour un connard « poids moyen », « l’incarnation
du mec lourd sympa », harceleur par défaut parce que la société laisse
toute latitude aux hommes, parce que c’est normal d’insister pour obtenir ce
que l’on veut d’une femme. Quand les femmes montrent leur colère pour ne pas
dire leur rage, lui est simplement désolé et ne comprend pas très bien ce que l’on
attend de lui.
Despentes dénonce l’attitude des hommes qui ne se sentent
pas concernés car, d’après eux, pas harceleurs : « Tous ne
chassent pas. Mais tous laissent passer le chasseur. » Elle reprend
aussi un argument de King Kong Théorie selon lequel « l’émancipation
masculine n’a pas eu lieu. [Leurs] imaginations sont soumises. »
Son analyse des réseaux sociaux,
de la célébrité que l’on peut en retirer est à la fois juste et peu originale. En
définitive, l’attitude de chaque personnage s’inscrit bien dans cette dynamique
où chacun fait dans la démesure en pleurnichant sur son nombril et les
référence à Valerie Solanas m’ont paru un peu gratuites.
A contrario, la fin est
réussie : les esprits s’apaisent dans un début d’acceptation et de
lucidité. Qu’une ouverture vers la « vraie vie » se dessine en
parallèle n’est certainement pas une coïncidence. Surtout, chacun aura évolué à
travers ces épreuves et avec une cohérence en lien avec leurs personnalités.
En dépit d’un roman fouillis, le
ton et l’actualité des sujets maintiennent l’intérêt mais, je l’avoue, c’est
passé juste.