C'est une guerre mystérieuse, à la fois
incompréhensible et classique : il y a ceux qui commandent et ceux qui
subissent, une langue qui n’est plus autorisée, un quotidien qui ne fait plus
sens ou si peu, des relations biaisées, toute tentative de préserver un peu d’intimité
pourrait être perçue comme une transgression.
Le narrateur est confiné avec sa mère dans une
zone abandonnée ; il voudrait rejoindre celui qu’il aime et fuir « ailleurs »,
quel que soit ce lieu. La force du livre
tient pour beaucoup dans l’anonymat du territoire qui désigne, en conséquence, toutes
ces terres meurtries par la guerre – on pense évidemment à l’Ukraine ; l’ex-Yougoslavie
était aussi omniprésente dans mon esprit.
La langue est poétique, fiévreuse, sensuelle
alors même que le narrateur n’a aucun charisme : on a du mal à l’imaginer
s’en sortir. Mais il touche du doigt l’essentiel ; sa réflexion est
résistance tant elle va à l’encontre de ce qui motive les guerres.
« Ces arbres nous recouvrent
et nous font sentir qu’un tissu de racines très profondes nous soutient
par-dessous, comme l’acier mélangé au ciment dans les fondations des maisons.
Des ramifications que nous ne pouvons pas comprendre nous maintiennent dans un ordre
naturel, à la fois corrompu et fragile. […] peut-être que les racines communes
avec la nôtre rendaient la chose plus douloureuse encore, car qu’on le veuille
ou pas cela voulait dire qu’il était impossible de ne pas nous aider les uns
les autres, profondément et essentiellement. »
L’histoire est racontée comme un rêve : la
violence et la douleur sont amorties, les quelques actions semblent irréelles,
les réflexions utopistes, la fuite pleine d’un élan direct et confus à la fois.
Cette confusion est séduisante, bien amenée, mêle espoirs et dangers et s’achève
comme une révélation.
« Tout dépendrait de moi, et moi je
dépendrais de toutes ces autres choses. »
J’ai beaucoup aimé ce texte à la
fois innovant et ancré dans une histoire (malheureusement) bien connue.
Déstabilisant, il s’ancre dans le cœur et la tête pour laisser un souvenir
intense.