Intimités – Katie Kitamura
(Intimacies,
2021)
Stock, 2023, 250 pages
Traduction de Céline
Leroy
À la mort de son père, fuyant New York, la narratrice
s’installe à La Haye en tant qu’interprète à la Cour Internationale. Femme
sans histoire, elle finit par être rattrapée par un ensemble de
dissonances : Adriaan, son amant néerlandais, décide de partir au Portugal
rejoindre ses enfants et la femme qui l’a quitté ; Jana, une amie, lui
raconte qu’une agression a eu lieu en bas de chez elle et la narratrice en
devient obsédée ; sa hiérarchie lui demande d’interpréter pour un ancien
président accusé de crimes de guerre.
En dépit d’une narratrice à la
personnalité peu attractive à mes yeux et d’une écriture sans attrait, ce roman s’est avéré très prenant et m’a séduite par bien
des aspects. C’est surtout l’ambiance qu’installe rapidement l’autrice qui
accroche : on ressent une menace sourde, comme si la narratrice était
cernée par des gouffres invisibles et qu’un rien pouvait faire basculer sa vie
routinière. Par des indices infimes, un ressenti de son personnage, Kitamura suggère
peu à peu un certain inconfort.
Le travail d’interprétariat lui-même est décrit comme une
pratique qui relève quasiment de la schizophrénie : la narratrice doit être
à fond à sa tâche mais finit par perdre le sens général de ce qu’elle traduit,
ce qu’elle dit sans que ce soit elle qui le dise vraiment en premier lieu (« …la minutie requise par l’exercice, tout en
s’efforçant de rester le plus possible fidèle aux mots prononcés d’abord par le
sujet, puis par soi-même, sans pour autant appréhender le sens des
phrases : … on ne sait littéralement
pas ce qu’on dit. Le langage ne fait plus sens. ») Son travail d’interprète et ce qui en découle
(l’attention aux mots, aux ambiguïtés, l’intimité imposée, etc.) m’a souvent
fait penser à Un cœur si blanc, même si Katie Kitamura n’a pas la
virtuosité de Javier Marias.
Au-delà des mots, la narratrice observe avec beaucoup
d’attention ses interlocuteurs ; elle est ultra‑sensible à leurs propos,
gestes, regards, voire à ce qu’ils taisent. Ce regard porté sur les autres
imprègne tant sa façon d’aborder le monde qu’elle en est parfois submergée,
surinterprète (ce qu’elle se garde de faire dans l’exercice de son métier), est
déstabilisée (inutilement). Elle semble tiraillée entre une tendance à vouloir
comprendre les tenants et les aboutissants d’un ensemble de relations et le
confort de l’ignorance, cela à un point qui m’a souvent agacée.
En filigrane, elle cherche aussi un endroit qui puisse
être un repère. J’avoue que ce volet du roman m’a semblé traité trop en
pointillés pour être convaincant. De même, la fin m’a paru un peu
« mince » après tout ce que le roman avait brassé (et promis).
C’est un texte riche, qui plus est pour un format
assez court, mais toutes ses couches sont très bien amenées et constituent le
second attrait du roman. Il dessine fort bien la complexité de nos relations
aux autres, quelles que soient leurs natures.
En définitive, Intimités est un roman consistant et
prenant qui nourrit aussi bien la réflexion que les émotions et qui donne envie
de mieux connaître l’œuvre de cette autrice peu traduite en français.