La
narratrice de ce roman étonnant a quitté Buenos Aires, où elle réside, sur un
coup de tête pour venir à Heidelberg où elle a vécu, très jeune enfant, avec
ses parents. Elle a trouvé une place en résidence universitaire, sans pour
autant avoir l’intention d’étudier. Son projet est le suivant :
« …
je vais essayer de dormir, je vais essayer d’aller mieux, et je vais chercher
un banc sur la Markplatz où je pourrai m’asseoir pour penser tranquillement et
manger des bretzels. » (je suppose que l'adhésion immédiate que j'ai ressentie pour ce projet témoigne de ma fatigue générale)
Loin des
siens, de son quotidien, elle se retrouve happée par un univers à la fois
familier – puisqu’elle connaît la ville – et profondément étranger.
La
présentation éditeur conclut par cette remarque très juste : « …
l’héroïne agit à peine mais il lui arrive des choses
extraordinaires. Les gens qui l’entourent la conduisent vers des situations
improbables qui ne peuvent arriver que quand on est à l’étranger. » J’ai retrouvé dans le récit cette sensation de se laisser
porter par les événements, ce lâcher-prise spontané qui nous prend quand nous ne sommes plus contraints par notre
environnement habituel. En outre, l’histoire a par moments des accents oniriques ou des
allures de conte et cela participe à une certaine irréalité.
L’héroïne évoque aussi ce réconfort à ne plus avoir à choisir le
tapis du salon, les tasses à mettre dans le placard : se laisser porter
par l’aménagement fait par d’autres, utiliser les objets choisis par d’autres.
Si son séjour ne sera pas de tout repos, elle est comme déchargée d’un ensemble
de responsabilités et peut alors se laisser porter
par les autres, ne pas avoir de comptes à rendre.
J’ai beaucoup aimé ce roman, sa principale protagoniste qui semble
à la fois ne pas très bien savoir ce qu’elle fait là et avoir quelques
certitudes sur le fait qu’elle n’attend rien de particulier. Elle est comme en
suspens, a besoin d’une pause mais pas nécessairement de réfléchir à ce qu’elle
fera « ensuite ». Et ce fut très appréciable de ne pas être
confrontée à une avalanche de questionnements et autres remises en question.
Le livre est globalement apaisant : si les événements
qui lui arrivent ne sont pas tous agréables, la narratrice ne réagit pas avec
anxiété ; d’une certaine façon, elle attend que « ça passe » et,
en effet, tout se remet d’aplomb sans son intervention. La quatrième parle d’un
roman de « non apprentissage » ; j’ajouterai qu’aucune leçon
définitive n’en ressort si ce n’est que la scène finale est sereine alors que la narratrice se décrit au début avec « des cheveux
longs, lourds comme une cape de tristesse ».
Les personnages secondaires sont presque tous intéressants eux
aussi, ce qui ajoute une profondeur au roman ; je me suis attachée à eux,
à leurs histoires, à la communauté de circonstance qu’ils forment.
Le livre se referme avec ses mystères et ses possibles et je l’ai
aimé plus que je ne sais l’exprimer. A découvrir !