La douceur de nos champs de bataille - Yiyun Li
(Where reasons end, 2019)
Belfond, 2019,
160 pages
Traduction de Clément Baude
Ce livre est un dialogue fictif entre
une mère et son fils suicidé ; il fait écho à la propre expérience de
l’autrice. Le précédent livre de Yiyun Li, Cher ami…, révélait la dépression dont elle
avait souffert et qui l’avait elle-même conduite au bord du suicide. C’est
ainsi qu’elle fait dire à la mère, dès la première conversation : « J’ai failli être à ta place un jour, et
c’est pour ça que je me suis permis d’inventer ce monde pour parler avec
toi. On peut supporter la tristesse, mais elle est une garnison
impuissante contre la cécité de la tragédie. »
C’est un dialogue vigoureux entre
deux personnes exigeantes, finalement assez semblables dans leur désir de
perfection. Le ton attribué aux propos du fils, sa langue acérée et sa posture
un brin arrogante, m’ont parfois choquée. On comprend néanmoins que
l’affrontement verbal est ce qui empêche la mère de sombrer et on apprécie
l’absence de grandiloquence toujours tentante dans une telle situation ; le fils n’acquiert pas un statut
d’idole et Yiyun Li nous épargne tout sentimentalisme tiède. Ce sont, en
définitive, des conversations banales entre une mère et son enfant ; on se
sent d’ailleurs parfois de trop tant la mère et le fils partagent une intimité
qui n’appartient qu’à eux.
Malgré tout, je l’avoue, je n’ai pas
toujours su prendre du recul face à ce thème ; je me suis parfois
retrouvée à genoux au détour d’une phrase dont chaque mot était posé à la
perfection. L’émotion est camouflée par un ton détaché, des silences : l’air
de rien, cette prose est très puissante.
C’est un livre étonnant en ce que les
échanges sont assez éloignés des sujets habituels de cette littérature. Certes,
l’autrice tente de comprendre un geste aux conséquences dévastatrices ;
bien sûr, il y a aussi la culpabilité de celle qui n’a pas su éviter le pire
mais ce ne sont pas des sujets abordés frontalement, de façon classique.
Par exemple, l’adolescent reproche à
sa mère de se laisser aller, y compris comme écrivain ; elle qui ne cédait
pourtant pas à la facilité se contenterait désormais de clichés et manquerait
de précision dans le choix des mots et la mère de répliquer qu’elle fait au
mieux, assommée qu’elle est par le chagrin. Le texte est truffé de jeux sur les
mots, remarquablement transmis par le traducteur, Clément Baude, dont
j’aimerais qu’il s’attelle à l’œuvre d’Ali Smith que je ne goûte actuellement
qu’en VO.
Les deux interlocuteurs passent
également en revue leurs souvenirs communs, des « petites choses »
qui disent bien plus sur leur lien et leurs sentiments que toute déclaration solennelle.
On retrouve ici la pudeur habituelle de l’autrice. C’est aussi une façon
d’interroger le sens et la valeur que l’on donne à la vie.
Au fil des échanges, on comprend que la narratrice se
créé une façon de vivre qui soit supportable. C’est un livre qui dessine des
possibilités de réconfort pour chacun, des manières d’apprivoiser une douleur
innommable.
Ce texte parlera à tous ceux qui ont
perdu un être cher et qui auraient voulu poursuivre une conversation
malheureusement interrompue.
Ce livre m’a été
transmis par l’éditeur.