Assemblage – Natasha Brown

 

Assemblage – Natasha Brown

Assemblage – Natasha Brown
(Assembly, 2021)
Grasset, 2023, 160 pages
Traduction de Jakuta Alikavazovic

  

Rester serviable dans un monde brutal et hostile. Sortir, étudier à "Oxbridge", débuter une carrière. Faire tout ce qu’il faut, comme il faut. Acheter un appartement. Acheter des œuvres d’art. Acheter du bonheur. Et surtout, baisser les yeux. Rester discrète. Continuer comme si de rien n’était.


La narratrice de cette novella est une femme noire qui a grimpé l’échelle sociale par le biais de ses études et d’un travail bien payé ; nous ne saurons rien sur elle de nature personnelle qui puisse lui donner une identité spécifique. Ce choix d’un personnage-symbole m’a gênée : il m’a été difficile de croire en une histoire qui n'a vocation qu'à illustrer une situation globale et il m’a semblé que le recours à la fiction n’était pas opportun en l’espèce. En effet, le propos relève plus de l’essai que de la fiction. Et le fond est fort intéressant ; c’est son habillage formel qui n’est pas convaincant.

La narratrice raconte son quotidien et son parcours. Elle est le produit du regard des autres, des injonctions de sa famille, de la société. Elle a suivi le parcours de la parfaite assimilée : hautes études, emploi bien payé, bon goût, cultivée, bonnes manières, petit ami blanc et bourgeois. Elle est un symbole que l’on affiche à titre professionnel et privé, qui valorise les autres, leur soi-disant ouverture à la diversité mais elle est aussi supposée être reconnaissante d’être acceptée. Elle doit subir sans broncher ce que l’on appelle le « racisme ordinaire », la misogynie aussi et qui prennent la forme d’agressions de surface, répétées, quotidiennes. Elle est un objet que l’on commente. Elle s’est construite extérieurement en suivant les règles et, intérieurement, en y réagissant ; en définitive, elle est dépossédée.

Le texte dit la pression constante qui pèse sur celle qui part avec un handicap, tel que défini par la société masculine et blanche, et qui se traduit par une appréhension constante de ne pas être « dans les clous », invisible.

Il n’y a pas de succès, seulement des échecs temporairement évités.

Il dit le poids des directives : « Je suis tout ce qu’on m’a dit de devenir. », des contradictions : « Sois la meilleure. Travaille plus, travaille mieux. Dépasse toutes les attentes. Mais aussi, sois invisible, imperceptible. Ne mets personne mal à l’aise. Ne gêne personne. N’existe qu’au négatif, dans l’espace alentour. » Mais aussi la détermination sans faille que nécessite le parcours du combattant pour une femme noire, l’impossibilité même de flancher. La nécessité de « s’intégrer », ce que cela suppose :

« J’apprends ce que je suis censée faire. Comment je suis censée vivre. Ce que je suis censée apprécier. Je regarde, j’imite. Ça demande des efforts. Ça demande de comprendre tout ce qui demeure hors de portée. Tous les moments où je me rate. »

 

A la fois fort et un brin décevant, le texte s’enferme dans un format trop contraint eu égard aux nombreux thèmes balayés. Pendant toute ma lecture, j’ai été tiraillée entre l’intérêt des idées évoquées et la superficialité du traitement, entre la force que l’on perçoit et un éparpillement qui empêche toute plongée sérieuse dans un sujet. Il en ressort une impression de liste dont on ne sait que faire. Pourtant, Natasha Brown met en relief la subtilité des pièges qui se présentent, notamment la question de l’identité réelle quand vous avez consacré votre temps à vous déterminer en fonction des autres mais aussi, le tiraillement entre intégration et refus de valider le récit de la société à votre égard.

« … continuer, maintenant que j’ai le choix, c’est choisir la complicité. »

J’ai particulièrement apprécié la façon dont l’autrice introduit le diagnostic de cancer. Le retournement aurait été plus réussi si le texte avait été plus ramassé car concentré sur une fiction. En définitive, Assemblage montre le potentiel d’une autrice à suivre même si son format hybride, ni fiction tout à fait assumée, ni essai véritable en fait une lecture frustrante.