La vengeance m’appartient - Marie NDiaye

 

La vengeance m’appartient - Marie NDiaye
La vengeance m’appartient - Marie NDiaye
Gallimard, 2021, 240 pages


Prenant sur le fond, renversant sur la forme, ce roman est aussi addictif qu’épuisant. Je n’avais jamais lu l’autrice et ne sais donc pas s’il est représentatif de son œuvre ; je ne suis pas sûre non plus de la relire à court terme, pressentant que je ne pourrai m’empêcher de chercher désormais quelque chose, que je ne trouverai probablement pas.


Sur le fond, il ne faut pas s’attacher à l’histoire présentée en quatrième qui ne sert, en vérité, qu’à créer un univers autour de Maître Susane, avocate bordelaise médiocre et esseulée. Car ce roman est exclusivement un portrait psychologique d’une femme constamment au bord de la catastrophe et dont les digues sont en train de craquer de partout. C’est déroutant, de façon séduisante car extrêmement bien conçu. Marie NDiaye suggère des pistes et laisse le lecteur et son personnage se débattre dans le mystère ; rien n’est jamais tranché et cette ambiguïté a un charme puissant. 

Les autres personnages et les intrigues associées n’ont d’intérêt qu’en tant que moyens servant à révéler, en contrepoint, Me Susane. 


Ce qui est éprouvant, c’est que plus on a le sentiment de tenir une piste, plus on se retrouve avec de nouveaux doutes, sans compter qu’être sans cesse dans la tête de Me Susane n’est pas de tout repos. Avancer dans le livre est comme se promener dans le brouillard : on tâtonne, on n’est jamais sûr de rien, on hésite à qualifier l’expérience de délice ou de torture. Il m’est d’ailleurs impossible de dire si j’ai aimé ou pas le livre : j’ai aimé être bousculée parce que je n’attendais rien mais j’imagine que j’aurais pu basculer dans l’agacement sans la virtuosité de l’écriture et la construction stylistique.


A cet égard, l’approche m’a rappelé par moment Saramago, y compris dans les pointes d’ironie et l’espèce de folie ordinaire sous-jacente qui peut s'emparer d'un personnage confronté à un monde qu'il ne comprend pas. Mais à la différence du Nobel, NDiaye produit un texte plutôt froid tant les personnages sont désincarnés. La confusion de Me Susane transparaît dans l’écriture dense et l’on ne peut qu’admirer la prouesse littéraire et la maîtrise qu’elle nécessite. Parce que nous vivons tout à travers sa perception, il n’est même pas possible de se faire une idée véritable, un minimum objectivée de la réalité, réalité qui évolue constamment et que l’on essaie de réinterpréter en permanence. Ce roman a beau se centrer sur une personne submergée par les émotions, il reste une construction intellectuelle qui ne saura pas séduire tout le monde.