Tea rooms
(femmes ouvrières) – Luisa Carnés
(Herederos, 1934)
La Contre Allée, 2021, 255 pages
Traduction de Michelle Ortuno
Dans
le Madrid des années 1930, Matilde cherche un emploi. La jeune femme enchaîne
les entretiens infructueux : le travail se fait rare et elles sont nombreuses,
comme elle, à essayer de joindre les deux bouts. C’est dans un salon de
thé-pâtisserie que Matilde trouve finalement une place. Elle y est confrontée à
la hiérarchie, aux bas salaires, à la peur de perdre son poste, mais aussi aux
préoccupations, discussions politiques et conversations frivoles entre
vendeuses et serveurs du salon.
Quand les rues de la ville s’emplissent d’ouvriers et ouvrières en colère, que
la lutte des classes commence à faire rage, Matilde et ses collègues
s’interrogent : faut-il rejoindre le mouvement ? Quel serait le prix à payer ?
Peut-on se le permettre ?
Après
avoir entendu parler du livre, je m’étais dit : « pourquoi
pas ? » Après avoir lu ce livre, je ne peux que constater que cette
rencontre fera date.
Tout
en étant engagé, le texte repose sur une véritable intrigue – j’entends par là
qu’il n’est pas un tract déguisé en roman. L’autrice donne vie à des
personnages qui touchent par leurs expressions, leurs propos, une vivacité
qui ressort d’autant plus dans l’ennui du lieu.
Il
y a le patron – on le voit peu ; il se contente de distribuer les
paies ; la responsable – très habitée par son rôle, inutile à tous points
de vue ; l’employée de longue date et plus très jeune qui a une peur bleue
de perdre son poste car elle aurait du mal à en retrouver un autre ;
l’insouciante dont le début de conscience sociale est gâché par une absence de
pensée structurante ; celle qui ne sait pas sur quelle jambe danser ;
celle qui est tellement imbibée de religion qu’elle n’a plus de cerveau ;
le serveur un peu insolent, etc.
Matilde,
la narratrice, est une pleine réussite : on l’entend peu et sa personnalité se dessine en creux, au
fil des événements ; sa force est inspirante ; l’éveil à sa
conscience sociale amené subtilement.
Le
« décor » lui aussi est bien rendu ; on visualise parfaitement
les lieux et la place (dans tous les sens du terme) des personnages ; plus
généralement, le regard de Carnés m’a semblé très moderne.
Ce
roman social et féministe montre à la fois les difficultés auxquelles est
confronté le peuple, et celles encore plus immenses des femmes qui ont le
« choix » entre être esclaves d’un patron et être esclaves d’un mari
(elles le sont souvent des deux).
Je
ne peux me résoudre à citer des passages tant la réussite touche l’ensemble du
livre : j’ai tout aimé - fond, forme, personnages. J’ai déjà hâte de
relire cet ouvrage essentiel et toute ma gratitude va à La Contre Allée pour
avoir publié cette merveille tombée dans l’oubli.