Printemps – Ali Smith

Printemps – Ali Smith

Printemps– Ali Smith
(Spring, 2019)
Grasset, 2022, 320 pages
Traduction de Laetitia Devaux

 

Le réalisateur Richard Lease a connu des jours meilleurs : il n’est plus à la mode, et ne se remet pas de la mort de sa grande amie Paddy. Déprimé, il entreprend un voyage vers le nord du pays, en dialoguant avec une enfant imaginaire, faute d’être resté en contact avec sa propre fille. Sa route va croiser celle de Brittany, qui travaille dans un centre de détention pour immigrants. Elle aussi est partie de Londres sans réfléchir, à la poursuite de Florence, une mystérieuse jeune fille qui a secoué l’institution pour laquelle Brittany travaille. 

 

Si les deux premiers tomes de la série m’avaient moyennement convaincue, j’ai retrouvé ici ce qui m’attire tant dans l’œuvre d’Ali Smith.

Tout d’abord, c’est une voix reconnaissable entre toutes, portée par une espièglerie qui flirte souvent avec l’ironie, une fausse légèreté et un goût certain pour les jeux de mots. Ali Smith, c’est aussi un univers à la fois fantaisiste et en prise avec l’actualité dans ce qu’elle a de plus réel (ici, les centres de rétention de migrants ; plus généralement, la société et la politique britannique). On y trouve également des références culturelles extrêmement variées, témoignant d’une curiosité et d’une vitalité salutaires ; plus particulièrement dans ce cycle, l’autrice met en avant une artiste différente dans chaque tome (Pauline Boty dans Automne, Barbara Hepworth dans Hiver, Tacita Dean dans Printemps). Smith est aussi une grande amatrice de mythes, peut-être moins dans ce livre que dans ses autres romans. 

« C’est quoi, un braconnier ?

Quelqu’un qui déconne avec ses bras. »


Autrement dit, les romans d’Ali Smith sont extrêmement riches et d’une créativité exubérante. Si l’on peut parfois s’y perdre, Printemps est très équilibré et abordable ; sa lecture est aisée et tellement plaisante que l’on bouclerait le bouquin d’une traite si on n’y prenait garde.

« si… au lieu de dire, cette frontière sépare ces endroits, on disait, cette frontière unit ces endroits. Cette frontière tient ensemble ces deux endroits si différents et si intéressants. Et si on déclarait qu’en ces lieux où on franchit la frontière… on devient soi-même doublement possible. » (le double est un thème cher à l’autrice)

 

Comme toujours avec Smith, les personnages sont présentés avec tendresse dans leurs faiblesses et ce qui nous agacerait dans la vie courante, devient acceptable sous le regard de l’autrice qui neutralise tout jugement. Brittany (je suis désolée mais le choix de la traductrice de transformer le prénom en Bretagne m’est sorti par les yeux), surveillante en centre de rétention, n’est pas un personnage sympathique ; pourtant, elle trouve sa place sans difficulté dans l’histoire, probablement parce que Florence la traite comme si elle était aussi aimable que n’importe qui (alors même qu’elle ne l’est pas). Dans les romans d’Ali Smith, tous les individus méritent une attention. Il semble évident que cette posture et l’engagement sociétal de l’autrice sont liés ; Smith croit que c’est parce que chacun fait sa part que le changement se produit.


« Est-ce qu’il y a d’autres vies possibles pour moi à part celle-ci, ici ? » (dixit un animal du zoo)

 

Ce volume, bien que marqué par la mort, est également porteur d’espoir, comme le printemps annonce un renouveau. Les signes sont à peine perceptibles, secrets, clandestins ; mais ces forces sont bien à l’œuvre pour des jours meilleurs, plus tolérants. C’est finalement ce que l’on retient de ce roman fort et encourageant : la situation n’est pas brillante mais le meilleur reste à venir. Vivement l’été !