Pardon si je dérange –
Patrick Cottrell
Grasset, 2021, 304 pages
Traduction d’Héloïse Esquié
Helen Moran,
une trentenaire vivant à New York, revient chez ses parents à l’annonce du suicide
de son frère. Helen et son frère (qui n’est pas son frère biologique) sont d’origine
coréenne et ont été adoptés par un couple d’Américains blancs.
Voilà un
roman qui m’a fort déstabilisée et dont je n’ai su que penser pendant la majeure
partie de ma lecture. Pourtant, il est assez incroyable et la fin est terrible
dans tous les sens que vous donnez au terme.
« Lorsqu’il
jouait du Mozart ou du Schubert, la maison se remplissait de culture blanche masculine et
européenne. Nous étions censés y vouer un culte, et nous l’avons fait
pendant un certain temps, mais une fois que je suis entrée à la fac, j’ai
arrêté. Il existe un monde et une histoire de cultures non blanches, leur ai-je
un jour écrit dans une lettre rageuse. Et vous nous l’avez caché pendant toute
notre enfance ! Ces deux individus blancs ont élevé leurs enfants
asiatiques dans l’idée que l’art asiatique était décoratif : tapis et
vases orientaux ! Éléphants de jade ! Baguettes en émail ! »
Ce qui
est très étrange, ce sont les personnages : aucun n’est réellement
sympathique et tous sont franchement spéciaux. Helen se présente comme une outsider,
son frère apparaît comme autiste et les parents semblent, au mieux,
désagréables (et radins). En tout état de cause, les relations familiales sont
pour le moins perturbées (je n’aime pas utiliser le qualificatif « dysfonctionnel »
si banalisé mais, pour la peine, on pourrait penser qu’il a été inventé pour les Moran).
« On
fait ce qu’on a à faire pour s’empêcher de sombrer dans l’abîme […] Comment
faisons-nous pour vivre avec nous-mêmes ? »
L’écriture
participe à ce sentiment de décalage ; c’est que le lecteur perçoit tout à
travers les yeux d’Helen et ce n’est pas une narratrice banale. Ainsi, l’histoire
se déroule dans une ambiance assez irréelle : la famille se prépare à l’enterrement
mais Helen et ses parents semblent vivre dans deux mondes différents et sont
incapables de communiquer. Ajoutons que Helen désigne systématiquement les membres
de sa famille par « mon frère adoptif », « ma mère adoptive »,
« mon père adoptif ».
Pour
autant, l’auteur nous livre une histoire subtile sur l’art de trouver sa place
dans le monde, le deuil, la vie, le racisme, l’adoption, le tout avec un humour
noir bien trempé, un regard à la fois tendre et sans pitié. Le titre résume toute l'ambivalence de l'approche. C’est enlevé et grinçant
à souhait mais aussi d’une sensibilité à fleur de peau – c’est surtout cet
aspect que je retiendrai, avec la lucidité sans merci d’Helen.
Plus qu’un
premier roman, ce texte est le signe d’une voix singulière qui mérite d’être
découverte.