Le Cercle du karma - Kunzang
Choden
(The Circle of Karma, 2005)
Actes Sud/Babel, 2007/2009, 427 pages
Traduction de Sophie Bastide-Foltz
Frustrée de n'avoir pu accéder au
savoir, réservé aux garçons, la jeune Tsomo prend prétexte d'aller célébrer la
mémoire de sa mère décédée dans un temple éloigné pour quitter sa famille.
Ainsi débute la longue marche en forme d'odyssée qui va tenir lieu d'existence
à Tsomo et la mener de son village près de Thimphu, la capitale du Bhoutan, à
Kalimpong en Inde et jusqu'à Bodh Gaya, haut lieu du bouddhisme.
Le Bhoutan est un pays méconnu et sa littérature est
encore plus confidentielle. Ce roman est donc particulièrement intriguant et
instructif.
Le pays est bordé au nord par l’Himalaya qui le sépare
de la Chine, à l’ouest par l’Inde, au sud par le Bangladesh et à l’est par la
Birmanie. Dans le récit qu’en fait l’autrice, il semble également pétri de
traditions, pour le meilleur (donner de la stabilité à une communauté) mais
aussi pour le pire (la condition des femmes est, évidemment, déplorable).
Au-delà de son exotisme, ce qui séduit ici, c’est le
chemin de vie de Tsomo, une héroïne à la fois suffisamment forte pour se forger
un destin à contre-courant et incroyablement naïve sous certains aspects.
Si Tsomo a quitté le cercle familial par dépit, elle n’en
a pas moins eu la force de prendre des risques : voyager majoritairement
seule alors qu’elle ne connaît à peu près rien à la vie en dehors de son
village où elle est un membre d’une communauté, pas un individu supposé faire
usage de son libre-arbitre. Elle a aussi fait face à des situations inconnues,
très dures matériellement, est allée en Inde et y a vécu sans en parler la
langue. N’ayant pas appris à lire ni à écrire, elle est, globalement, très
dépendante de la bonne volonté (ou des abus) des gens rencontrés.
« Il lui
avait fallu toute une vie pour se libérer de tout lien. »
La religion a un poids non négligeable dans le récit
(et dans la vie bhoutanaise apparemment) mais, s’agissant de bouddhisme, on ne
se sent jamais envahi par des dogmes et autres principes indigestes. Les
rencontres de Tsomo avec des religieux ou d’autres adeptes sont marquées par la
bienveillance, une acceptation de l’autre tel qu’il est.
Cependant, le propos n’est pas complaisant, y compris
envers Tsomo dont les faiblesses ne nous sont pas cachées. Courageuse, l’héroïne
a aussi un caractère particulier et reste finalement très passive et indulgente
envers les hommes, ce qui m’a mise en rage à de nombreuses reprises.
Ce parcours atypique a de nombreuses vertus, à
commencer par nous pousser à nous interroger sur nos propres vies et, surtout,
sur notre vision du monde. Enfin, le tempo du récit, qui plus est quasiment pas
marqué par le temps historique, nous immerge dans une bulle déconnectée du
bruit du monde et c’est vivifiant.