La révolution matérielle - Jean-Claude Daumas
Flammarion, 2018, 590
pages
Une histoire de la consommation – France XIXe – XXIe siècle
L’historien Jean-Claude Daumas nous
livre ici un récit passionnant qui mêle économie et culture avec brio. En
effet, l’évolution de la consommation en France à partir de la révolution
industrielle n’est pas simplement une affaire de chiffres et d’argent ; c’est
une question qui intéresse la sociologie et les usages de classes. Quelles
sont nos relations avec le monde des objets et l’acte d’achat ? Les
bourgeois et les ouvriers ont-ils les mêmes représentations ? Que disent
de nous les objets dont nous nous entourons et la façon dont nous meublons nos
intérieurs ?
Le livre est découpé selon des
tranches classiques en histoire économique et nous permet de percevoir l’évolution
du regard porté sur la consommation par nos ancêtres jusqu’à la période
actuelle (1840-1885 / La Belle Epoque (1885-1914) / L’entre-deux-guerres
(1918-1939) / Les Trente Glorieuses / Des années 70 à nos jours). L’histoire de
la consommation est intimement liée à l’évolution des techniques et de la
société ; elle montre combien les niveaux de vie ont globalement progressé
jusqu’à la période récente qui voit, au contraire, se renforcer les inégalités
d’accès au confort et au bien-être.
Si l’accumulation de statistiques au cœur
du texte rend parfois la lecture un brin poussive, un des points forts du livre
est son accessibilité. Le propos est d’une grande clarté et vivant. L’auteur
multiplie (trop ?) les exemples qui permettent d’illustrer ses analyses.
Il montre comment une situation de
pénurie (première période) se transforme progressivement en cherté de la vie
(on est capable de produire suffisamment de pain de tout le monde mais tous ne
peuvent se permettre d’en acheter, du moins avec la même régularité ni de la
même qualité).
Chaque période est découpée par CSP :
les bourgeois (puis les cadres supérieurs), la classe moyenne (à partir de l’entre-deux-guerres)
et les subtilités de ce terme qui englobe des situations très diverses, les
ouvriers et les paysans (et en dernière période, les classes populaires et les
pauvres).
Si chacun aura tendance à s’intéresser
à sa classe (historique et/ou actuelle), cela montre bien que, même si on s’en
défend parfois, notre système de valeurs est marqué par cette appartenance. C’est
donc aussi un ouvrage qui permet de prendre du recul et de reconsidérer ce que
l’on estime comme étant une vision partagée, de bon sens sous un angle plus
modeste et relatif.
L’approche culturelle / sociologique
permet de comprendre pourquoi la possibilité d’acheter tel ou tel objet ou
service ne signifie pas forcément passage à l’acte (ou au contraire pourquoi
certains vont s’endetter pour acquérir certains biens) entre le conditionnement
de classe, la symbolique attachée à des possessions précises, une façon de
vivre. Cela est particulièrement vrai des biens culturels et des habitudes
relatives aux vacances.
Les analyses de Jean-Claude Daumas
sont fines et insensibles aux effets de mode. Bien que prudent concernant la
période actuelle, l’historien tire son épingle du jeu en restant objectif et
factuel.
C’est un livre d’une grande richesse,
instructif et passionnant que je recommande sans réserve.