La marche de Radetzky – Joseph Roth


La marche de Radetzky – Joseph Roth
La marche de Radetzky – Joseph Roth
 (Radetskymarsch, 1932)
Points, 2008, 408 pages
Traduction de Blanche Gidon


Ce roman évoque le déclin de l’empire austro-hongrois de la défaite de Solférino à la mort de François-Joseph, cela à travers le destin de trois générations de Trotta : le grand-père, Joseph, sauva François-Joseph de la mort à Solférino ; le père, François, préfet et donc représentant de l’Etat ; le petit-fils, Charles-Joseph, lieutenant dans l’armée impériale, en temps de paix.
Comme on le comprend dès cette présentation, c’est un roman très symbolique, où rien n’est laissé au hasard.

Si le geste de Joseph était une impulsion, il va figer pour les décennies à venir chaque pensée et chaque geste de ses descendants. Le monde peut bien s’effondrer autour d’eux, ils y sont aveugles ou du moins font comme si de rien n’était. On a le sentiment que ces personnages ne s’appartiennent pas, qu’ils n’en ont pas le luxe ; ils sont au service d’une cause dont il faut être à la hauteur : préserver l’héritage de Solférino, servir l’empire tel qu’il fut et tel qu’il devrait être pour l’éternité.

« Nos grand-pères ne nous ont pas légué beaucoup de force. Peu de force pour vivre et juste assez pour mourir… »

François est le plus touché : il a été marqué par le destin de son père et le refus de ce dernier que son fils ait une carrière militaire. François semble hors du monde et hors du temps, sans cercle relationnel en dépit de son poste, incapable de communiquer avec son fils, s’interdisant aussi de penser (et très mal à l’aise chaque fois qu’il y sera obligé).

« [Autrefois] tout ce qui grandissait avait besoin de beaucoup de temps pour grandir, tout ce qui disparaissait avait besoin de beaucoup de temps pour se faire oublier. »

Ce roman est fascinant de la première à la dernière page ; on a vraiment du mal à s’en détacher. Ajoutons à cela la fusion qu’opère Roth entre ces trois hommes et l’empereur, presque littéralement dans un passage, symboliquement pendant tout le livre et via les prénoms de chacun.

« Il se tenait à sa petite table avec la sérénité du néant. »

Le style est superbe (et encore, la traduction m’a semblé faible parfois) ; la narration a un côté résolu qui souligne bien l’aspect implacable du déclin.
Roth déploie un pouvoir d’évocation fort qui nous plonge dans cette époque et nous fait sentir l’effritement de l’empire (et de l’Europe) et l’émergement de revendications d’indépendance des peuples.

« … il eut brusquement la certitude de n’être pas à sa place. ‘Mais alors, où est-elle, ma place ?’ »

Étrangement, alors que les personnages principaux sont ternes, l’histoire qui se déroule sous nos yeux semble plein de panache ; le stoïcisme des Trotta, leur renoncement à l’action les rendent quasi-héroïques. Ils ne peuvent rien faire pour arrêter cet effondrement si ce n’est poursuivre jusqu’au bout la mission qui leur a été assignée : servir et s’oublier.

« … la mort l’attendait déjà, mais la vie ne le lâchait pas encore. Ainsi qu’une hôtesse impitoyable, elle le retenait à table parce que son convive n’avait pas encore goûté à tous les plats amers qu’elle lui avait préparés. »


Chronique d’une chute annoncée, La marche de Radetzky est de ces livres dont on comprend de suite qu’ils sont des chefs-d’œuvre. A la fois impressionnant car grandiose et accessible, d’une grande richesse sur le fond et servi par un style impeccable, ce roman est à lire.