Marcher jusqu’au soir - Lydie Salvayre


Marcher jusqu’au soir  - Lydie Salvayre
Marcher jusqu’au soir  - Lydie Salvayre
Stock (collection Ma nuit au musée), 2019, 210 pages


Après Kamel Daoud (Le peintre dévorant la femme), c’est Lydie Salvayre qui a été invitée à passer une nuit au musée Picasso. Et l’autrice de nous expliquer combien elle est allergique aux musées, tombeaux de l’art, art d’ailleurs avec lequel elle entretient des rapports compliqués du fait de ses origines modestes notamment. Avec beaucoup d’humour et de mauvaise foi assumée, elle transmet pourtant un message complexe qui touche bien des gens dont les milieux d’origine sont éloignés de cet art officiel et des canons classiques.

Une fois enfermée, la voilà face à l’exposition dédiée à Giacometti. Lydie Salvayre a toujours admiré l’artiste et plus particulièrement son Homme qui marche qu’elle peut voir pour de vrai, enfin ; elle s’attend à une rencontre éblouissante, renversante. Et là, rien.
Comment être touchée par l’art ? Pourquoi n’est-ce pas spontané ? Pourquoi ne retrouve-t-elle pas les émotions dont on entend toujours parler ? Pourquoi n’est-elle pas submergée par l’indicible beauté ?

« …plus nous contemplons un objet et plus il nous est étranger. »

Au-delà de l’art en général, des musées en particulier, Lydie Salvayre rend un hommage splendide à Giacometti et, sous des dehors faussement béotiens, livre une analyse de l’homme et de l’œuvre qui nous l’attache et donne envie de mieux connaître son travail. Elle évoque son humilité profonde, ses tentatives inlassables d’atteindre un objectif qu’il a pourtant décrété d’avance inatteignable (« … s’acharner passionnément et sans perdre courage pour une fin qu’il savait par avance perdue. »), son immense modestie qui s’inscrit même dans sa posture à l’opposé d’un Picasso qui ne se sent plus.

Va, avance désarmé (Hölderlin)

Lydie Salvayre a beau avoir un style direct et un franc-parler, son esprit est tout en finesse, et c’est bien sa délicatesse qui lui permet une évocation aussi réussie à Giacometti. Elle milite pour l’art plein de vie et non lissé, dénaturé et décontextualisé par l’exposition muséale, tout comme elle aime les mots mais pas leurs utilisations purement décoratives.

Si la fin est un peu trop convenue, l’ensemble est un régal ; c'est aussi un texte plein d'émotion qui nous rapproche de cette femme si touchante. Vivement le prochain volume de cette collection originale !