Les hommes d’août - Sergueï Lebedev


Les hommes d’août  - Sergueï Lebedev
Les hommes d’août  - Sergueï Lebedev
(Ljudi avgusta, 2016)
Verdier, 2019, 320 pages
Traduction de Luba Jurgenson


Août 1991. Des communistes de la vieille garde opposés aux réformes de Gorbatchev tentent un coup d'État. Porté au pouvoir par la tourmente, Boris Eltsine reprend le contrôle du pays, qui ne tardera pas à se disloquer.
Les attentes sont grandes, l’idée qu’un véritable renouveau est possible enthousiasme.
Le héros de ce roman part à la rencontre des fantômes du passé et croise, dans le même mouvement, les indices des déchirements à venir.


C’est un livre troublant en ce qu’il ressemble tant à la réalité que l’on doit vérifier constamment qu’il est bien signalé comme « roman ». Cette confusion est entretenue non seulement par les événements narrés mais surtout par l’écriture. Distinguer le « je » du narrateur de l’auteur peut s'avérer difficile tant le ton a des accents intimes. C’est qu’au début du roman, notre homme évoque sa grand-mère et son expérience du communisme d’une telle façon que cela rappelle des récits – bien réels, eux – lus sur le communisme soviétique. Il évoque notamment la falsification de l’Histoire à une échelle telle qu’il devient quasi-impossible de connaître la vérité des faits.
Tout le roman est ancré dans un contexte au rendu aussi réaliste qu’un reportage sur le terrain. La précision des événements les transforme en faits alors même que les personnages gardent un côté irréel.

Les quêtes dont est chargé le héros (retrouver des personnes disparues pour l’essentiel) ont quasiment un caractère mythique et semblent n’être que des prétextes pour se perdre dans des régions paumées de l’ex-URSS. Les histoires qu’il en rapporte ressemblent à des légendes (bases secrètes, Roi-Chien, œuvre du diable, etc.) mais des légendes ancrées dans une géographie précise. Et chaque fois le narrateur relève des indices de la catastrophe qui se prépare :

« … on ne pouvait plus séparer le pur de l’impur, les souffrances vraies des imaginaires. Au sein de cet univers, l’URSS existait toujours : une somme de destins brisés, de déportations ayant changé le cours de l’existence pour des peuples entiers, de frontières tracées avec du sang… »

Sergueï Lebedev explore son pays en géologue, strate après strate, et tente de retrouver les traces d’une histoire travestie, tout en démasquant les hommes de demain. Et le narrateur de conclure :

« … il faudrait brûler le pays tout entier. »


C’est un livre passionnant et un brin décourageant aussi en ce que l’on se sent submergé par le cynisme régnant, l’idée que le pays est verrouillé et qu’aucune « révolution » n’y changera rien. Mais ce qui fait son charme, ce sont toutes les histoires ahurissantes qui le peuplent et qui soulignent combien la Russie possède décidément un pouvoir enchanteur incomparable.


Ce livre m’a été transmis par l’éditeur