Il était une voix - Marina Al Rubaee
Fayard/Mazarine, 2019, 272 pages
C’est l’histoire d’une petite fille dont
les parents sont sourds. Le quotidien est fait de mille et une difficultés que
l’on imagine vaguement et que ce livre permet d’appréhender précisément. Mais
au-delà des galères matérielles, Marina Al Rubaee explore plus en
profondeur l’univers bien particulier des sourds avec sa logique propre, son
mode de pensée et d’expression, etc. Marina Al Rubaee a fait la jonction entre
les deux mondes dès son plus jeune âge mais cela ne veut pas dire uniquement « traduire » :
« La langue des signes étant ma langue maternelle et me considérant comme
une « sourde entendante », j’ai dû intégrer une façon d’être, de
penser et de m’exprimer différente de ce que m’avaient inculqué mes parents. »
C’est un aspect incompris par les
personnes qui croisent son chemin : pour eux, elle entend, donc elle n’est
pas supposée être soumise à certaines difficultés. Marina en fera les frais
notamment au CP quand elle devra apprendre à lire : entre une certaine
solidarité familiale (notons également que ses
parents sont d’origines étrangères : Irak pour le père et Slovénie et
Pologne pour la mère) et la nécessité
d’apprendre le français comme une langue quasi-étrangère, la petite fille va en
baver. La structure grammaticale de la langue des signes est particulière et,
pour les sourds, il n’y a pas de lien évident entre l’oral et l’écrit (c’est
logique). Ajoutons que pour l’autrice, le monde des sourds est la normalité ;
c’est à l’école qu’elle découvrira que ses parents sont au contraire les
marginaux.
A ce titre, ce livre devrait être lu par le plus grand nombre :
il permet de se décentrer, de percevoir ceux qui sont différents comme ayant
des vies tout aussi riches que les autres, de comprendre aussi que leur
marginalité est d’autant plus accentuée que l’on ne fait pas d’efforts pour les
inclure dans nos vies. L’autrice raconte à plusieurs reprises l’absence d’empathie
d’interlocuteurs qui, déstabilisés, ne cherchent pas à nouer un dialogue, à s’adapter.
Ainsi, c’est la petite Marina qui
doit se débrouiller pour faire entendre la voix de ses parents auprès de l’administration,
des médecins, etc. Elle n’est qu’une enfant, ne connaît rien à la vie des
adultes mais il lui faut prendre le monde à bras-le-corps et apprendre sur le
tas, à la dure.
« Aucun des médecins ne se questionne sur la normalité de la situation et
n’intervient pour me dire : ‘Non, laisse, ce n’est pas à toi de t’en
occuper. Ce n’est pas ton rôle. Je vais me débrouiller avec tes parents.’ »
Celle qui deviendra journaliste (pour
faire entendre les voix des autres) se retrouve ainsi dans le rôle d’une
aidante familiale, en hyper-vigilance constante. Quand on sait combien cette
situation est usante pour des adultes, on comprend que l’enfant a subi une
pression infernale. Et pourtant, tout cela lui semble naturel et aucun adulte ne
viendra lui dire le contraire.
En dépit de redites, c’est un témoignage souvent poignant
et tout à fait intéressant que nous livre ici Marina Al Rubaee. Découvrir l’univers
des sourds, leur mode de fonctionnent, de pensée, chercher à comprendre les
clefs de leur intégration est très plaisant, même si on ne peut jamais tout à
fait se détendre en lisant tout ce que l’autrice aura dû supporter pendant deux
bonnes décennies.
Ce texte m’a été
transmis par l’éditeur via NetGalley.