Le Guépard - Giuseppe
Tomasi di Lampedusa
(Il Gattopardo, 1958 - 1ère édition ; 2002 - édition de référence)
Points, 2007, 358 pages
Traduction de Jean-Paul Manganaro
En 1860, une aristocratie décadente
et appauvrie, sourde aux bouleversements du monde, règne encore sur la Sicile.
Mais le débarquement des troupes de Garibaldi amorce le renversement d’un ordre
social séculaire. Conscient de la menace qui pèse sur les siens, le prince de
Salina se résigne à accepter l’union de son neveu Tancredi avec la belle
Angelica, fille d’un parvenu.
Si l’adaptation de Visconti a obtenu
la Palme d’or, le roman est infiniment plus riche, alors même qu’il n’est en
rien parfait.
Le livre débute par une scène de
récitation du rosaire rassemblant le clan Salina et la domesticité et la phrase
d’ouverture (« Nunc et in hora
mortis nostroe ») sonne comme une alerte car l’heure de la mort de la
lignée approche à grands pas. En effet, nous sommes à l’heure de la future unification
italienne (« Jamais nous n’avons été
autant divisés que depuis que nous sommes unis. ») et du
bouleversement social qui l’accompagne. Or l’aristocrate Salina n’a jamais eu à
se battre pour ses privilèges et cela a considérablement amoindri son sens
politique. L'auteur démontre brillamment les
différences d’attitudes des classes sociales face aux changements qui s’annoncent :
le prince Salina y fait face avec une sorte de naïveté quand le parvenu don
Calogero (le père d’Angelica) en a compris les enjeux d’office :
« étant affranchi des centaines d’entraves que l’honnêteté, la décence et
peut-être la bonne éducation imposent aux actions de beaucoup d’autres hommes,
[don Calogero] avançait dans la forêt de
la vie avec l’assurance de l’éléphant qui, déracinant les arbres et piétinant
les tanières, progresse en ligne droite, sans prêter attention aux griffures
des épines ni aux gémissements des écrasés. »
Entre les deux, on trouve Tancredi, membre du
clan Salina mais un peu à part car ayant perdu ses parents et dépendant économiquement du
prince Fabrizio. En effet, Tancredi a un sens politique aiguisé
(il est même l’archétype du politicien). Son portrait en creux est admirable, même si on comprend que c’est presque involontaire.
C’est pourquoi la huitième partie me semble tout à fait inutile car redondante
dans sa volonté d’expliciter les fortunes des uns et des autres.
On peut regretter également que
l’auteur ne se soit pas aventuré au-delà du monde qui lui était connu pour nous
offrir une fresque plus ample.
En revanche, la grande réussite du
roman tient à son style, à la capacité de Tomasi di Lampedusa de transmettre un
sens du grandiose. Si je serais incapable d’expliquer comment l’auteur réussit
ce prodige, j’ai su l’apprécier dès les premières pages. C’est d’ailleurs ce
que je retiendrai principalement de ce roman : au-delà de son portrait d’une
société à une période charnière de l’histoire d’un pays, Le Guépard marque par la construction de ses scènes et son style
remarquable.
C’est un livre d’abord aisé en dépit
de son contexte historique peu maîtrisé par le public français ; il se lit
avec délectation et sait nous immerger, le temps de sa lecture, dans un univers
disparu.