Tout ce qui nous submerge - Daisy Johnson
(Everything Under, 2018)
Stock, 2019, 325 pages
Traduction de Laetitia Devaux
Jusqu’à ses seize ans, Gretel a vécu
avec sa mère, Sarah, sur une péniche le long des canaux de l’Oxfordshire. Puis
un jour, Sarah a disparu. Seize ans plus tard, un coup de fil vient raviver les
questions qui n’ont jamais cessé de hanter Gretel : pourquoi Sarah l’a-t-elle
abandonnée ? Qu’est devenu cet étrange garçon qui vivait avec elles ? Que
s’est-il réellement passé sur la rivière ?
Difficile de savoir par où commencer
pour parler de ce livre fascinant et étrange, onirique aussi, mythologique
pourrait-on dire également, même si ce n’est pas ce dernier aspect qui a retenu
mon attention.
Daisy Johnson fait preuve, pour ce
premier roman qui suit un recueil de nouvelles, d’une dextérité littéraire
assez exceptionnelle. Car le livre est d’une grande richesse, joue sur quantité
de niveaux de lecture ; c’est presque trop par moments.
L’autrice brouille nos
représentations (des personnages, du monde) et joue sur le langage à plusieurs
niveaux : la langue inventée par la mère dans le passé ; le métier de
la fille – lexicographe ; l’Alzheimer de la mère aujourd’hui ; la
dénomination de « tout ce qui nous submerge », etc. C’est le langage
qui nous détermine, qui influence nos actes : credo séduisant pour tout lecteur.
Cela ne l’empêche pas de jouer sur
les non-dits : tout le roman est construit sur ce qui est tu ;
l’approche est d’ailleurs très subtile et ce qui m’a particulièrement séduite.
Et que dire des personnages de Sarah
et de Gretel qui, malgré le poids du destin, paraissent libérées du regard de
la société, des attentes que l’extérieur peut avoir de nous ? Ce sont deux
femmes indépendantes mais définitivement liées l’une à l’autre, au-delà du
rapport mère-fille ; elles auront passé près de vingt ans sans contact et,
pourtant, elles apparaissent comme rattachées l’une à l’autre à un point que
c’en est douloureux.
Le seul point qui ne m’a pas tout à
fait convaincue, c’est la narration trop éclatée, parfois inutilement.
Plus qu’une histoire, ce roman est
une voix, une vision du monde originale et rafraîchissante, pleine
d’inventivité et marquée par une langue fluide ; il donne à découvrir une
autrice en devenir à laquelle on ne peut que souhaiter une longue et fructueuse
carrière.
Short-list Booker Prize 2018 (de
fait, on se demande ce que vaut Milkman,
le gagnant).