Faiminisme - Nora
Bouazzouni
Nouriturfu, 2017, 120 pages
Quand le
sexisme passe à table
Dans une époque devenue si sensible
au slow food, si attentive aux
tendances culinaires, nous nous voilons trop souvent la face sur la place de la
femme dans l'organisation de cet acte essentiel qui est celui de (se) nourrir.
Rapports ambigus ou destructeurs entre chair et chère, domestication et
émancipation, genre et gastronomie... Avec ce livre, nous tentons d'expliquer
par le menu comment nourriture, sexe et genre féminin demeurent intimement
liés, et comment l'alimentation a toujours permis d'asservir les femmes.
Le grand atout de ce petit livre c’est de traiter le
sujet de la nourriture et des femmes dans une optique plus large que la seule
question de la nourriture ingérée. En effet, la journaliste commence par
évoquer les femmes cheffes (certainement la partie qui m’a la plus intéressée)
puis la question de la production agricole. Elle traite même, et c’est rare
dans les ouvrages français, du spécisme et de ses liens avec le patriarcat.
Si le propos n’est pas révolutionnaire, il a
l’avantage d’être simple et accessible, ce qui n’est pas la principale qualité
de certains essais.
D’une façon générale, Nora Bouazzouni remet dans le
bon sens les énonciations qui visent à démontrer que l’homme est supérieur à la
femme. On notera en particulier l’accaparation de nourriture et/ou de
nourriture de qualité par les hommes au détriment des femmes ce qui impliquera
plus de force pour les premiers et perpétuera l’idée que les femmes sont
faibles. Ce sont toujours les femmes qui sont sacrifiées quand il manque de
nourriture ; de même, les mères, quelle que soit la culture et les moyens
financiers, auront tendance à plus nourrir leurs fils que leurs filles. Or ce
n’est pas parce que les secondes ont moins de besoins que les premiers comme la
rhétorique traditionnelle voudrait le faire croire.
Autre idée, que l’on croise plutôt dans des ouvrages
anglophones : « S’il nous est
aussi difficile d’imaginer un monde sans abattoirs qu’un monde où les femmes
seraient réellement les égales des hommes, c’est qu’il faudrait pour cela que
l’homme renonce à ses prérogatives. Et certains y voient un signe de faiblesse. »
En effet, il s’agirait pour les hommes de renoncer à leur pouvoir (sur les
femmes et les animaux notamment – le
livre évoque très peu la question du racisme, pourtant également très liée aux
deux autres).
Enfin, sur la question du corps des femmes, l’autrice
cite notamment Susie Orbach : les filles « sont élevées dans l’idée que leur corps est une chose à construire et
non à vivre. »
On connaît toutes (au moins) un homme bedonnant,
négligé, etc. qui se permet de faire des réflexions aux femmes sur leur
physique ; c’est qu’il se sent légitimé par des millénaires de sexisme et
de patriarcat en général.
Mais aussi, cette idée développée par certaines
sociologues que « la plus grande
réussite du patriarcat, c’est d’avoir divisé les femmes en classes supérieures
et inférieures pour les empêcher de se soulever contre la domination
masculine. » (Roxane Gay l’évoque dans Bad Feminist sur un mode plus terre-à-terre, incitant les femmes à
être amies au lieu de se traiter en adversaires). L’idée étant que les femmes
se surveillent entre elles et qu’elles préfèrent obéir aux règles des hommes
plutôt que d’être marginalisées (voire punies, ce qui dans ce cas enlève toute
notion de « préférence »).
Enfin, un mot sur le body positive qui me fait grincer des dents pour diverses raisons,
notamment l’idée qu’il faut s’aimer
quelle que soit notre silhouette alors que l’important c’est surtout de se
faire respecter, quelle que soit notre silhouette (là aussi, Roxane Gay ne
dirait pas autre chose).
Quelques bémols : le style très oral, qu’on finit
par oublier car le propos est intéressant mais il aurait été possible d’écrire
mieux sans pour autant trop en faire dans l’excès inverse. J’ai également
relevé quelques propos un peu trop rapides qu’un esprit critique pourrait
retourner contre l’autrice quand ma lecture bienveillante a compris qu’il
s’agissait de raccourcis et que Nora Bouazzouni dispose d’arguments pour les
compléter si nécessaire.
Pour conclure ce billet très brouillon, soulignons que
Faiminisme (quel chouette
titre !) est un livre enthousiasmant qui ne prétend pas aller au fond de
chaque problématique mais qui présente une vision globale des différentes
formes de discrimination à l’égard des femmes à partir d’un sujet d’importance
(foi d’estomac sur pattes), la nourriture.
A lire, annoter, « post-iter », offrir et
s’offrir.