Happiness - Aminatta Forna
Bloomsbury, 2019, 320 pages
(VF : Le paradoxe du bonheur)
Un soir de février, à
Londres, un renard traverse un pont, une femme percute un passant. Elle est
américaine, il est ghanéen. A partir de cet événement presque banal, Aminatta
Forna tisse le long de la Tamise, à deux pas des monuments et des beaux quartiers,
une succession de rencontres improbables entre ces deux personnages et des
étrangers de l'ombre qui travaillent dans les arrière-cours des théâtres, les
parkings ou les cuisines des palaces. Une communauté disparate d'exilés qui,
sans se connaître, se mobilisent pour rechercher un petit garçon dont on a
perdu la trace.
Il y avait bien des choses qui me semblaient prometteuses
dans ce roman ; il y a bien des choses qui m’ont déçue.
La présentation séduisante laissait entendre que l’on
parlerait nature, et plus particulièrement faune, et de ce peuple de l’ombre
constitué des immigrés travaillant au cœur de Londres. Si le premier aspect a
bien été au rendez-vous, le second est vraiment anecdotique. En outre, Forna a
une approche des animaux assez paradoxale (bien que très répandue). L’autrice
entonne le discours « Bobo » sur la préservation des espaces
naturels, des espèces, etc. Si je le qualifie de « Bobo » c’est qu’il
reste de surface ; il n’y a aucune réflexion de fond (ni même aucune
réflexion tout court). Par la voix de Jean (qu’elle a réussi à me rendre
insupportable), Forna nous sert tous les clichés sur les animaux : il faut
les défendre (comment ? Mystère…), il faudrait moins en manger (mais
en manger quand même, on n’est pas des extrémistes – si au début du roman, de
multiples indices donnent l’impression que Jean est végétarienne, on se rend
compte que ce n’est pas du tout le cas et cette absence de cohérence est assez
déroutante), les renards sont mignons et gentils, tout comme les perroquets et
toute la faune que les citadins peuvent admirer de leurs toits aménagés en
espaces verts (Jean, à titre de revenus complémentaires, propose ce type de
services – mais, comme tout le reste, c’est anecdotique). Ajoutons que Jean a
la maturité d’une adolescente.
L’autre personnage central, Attila, est à la fois plus
réussi et moins incarné. Ce que j’ai apprécié dans ce roman, c’est la présence
de non-Blancs : il y a Attila le Ghanéen bien sûr mais aussi son neveu
Tano, en filigrane la poignée de travailleurs immigrés du réseau de Jean et les
évocations plus lointaines de personnes de couleur. Si cela a l’air d’un
détail, j’ai apprécié qu’un roman oblige le lecteur à ne pas prendre pour acquis
que tous ses personnages sont des Blancs, par défaut. En outre, Attila est un
expert dans son domaine et, même si c’est le seul à avoir un job de haut vol,
c’est assez rare pour être souligné. Enfin, les différences de couleur de peau
ne sont pas évoquées de façon maladroite, bien au contraire. En revanche, on a
du mal à cerner Attila jusqu’au bout ; il reste en marge, presque irréel.
Quant au fond, il est très inégal et majoritairement
faiblard. Si quelques réflexions sont bien vues, les analyses ne vont que
rarement au fond des choses et quelques remarques sont même assez gratuites. En
définitive, on a le sentiment que l’autrice a voulu aborder tellement de sujets
n’entretenant aucune relation naturelle entre eux qu’elle a écrit un livre
flou, sans vrai ligne directrice, fade aussi. On ressort de cette lecture en se
disant : « tout ça pour ça ? »