(The
Particular Sadness of Lemon Cake, 2010)
Points, 2014, 336 pages
Traduction de Céline Leroy
Quelques
jours avant ses neuf ans, Rose Edelstein goûte une part du gâteau au citron réalisé
pour l’occasion. Là, au lieu d’être submergée par une vague de plaisir, elle
ressent l’émotion éprouvée par sa mère lors de la confection de la pâtisserie ;
loin d’être un état d’esprit doux et léger, c’est du désespoir qui s’exprime en
arrière-goût. Après plusieurs expériences, Rose doit se rendre à l’évidence :
elle perçoit (en autres) les sentiments et l’état d’esprit des gens qui ont
fabriqué ce qu’elle mange.
Un roman étonnant
Autrice
de trois recueils de nouvelles (dont le dernier n’est pas encore traduit) et de
deux romans, Aimee Bender m’a longtemps effrayée. Et je le suis toujours un peu
de ses nouvelles car je ne goûte que modérément les univers farfelus. Pourtant,
ce roman m’a séduite dès les premières pages et cet attrait ne s’est jamais
démenti.
A
travers le « talent-malédiction » de Rose, Bender évoque la sortie de
l’enfance jusqu’à l’âge adulte. Rose passe de l’enfant gentille et souriante
facile à vivre à la jeune adolescente qui donne le change tout en cherchant une
prise dans la vie. Sa seule façon de survivre, c’est de manger de la nourriture
industrielle, c’est-à-dire déshumanisée. Tout est trop fort autrement :
ses ressentis, les sentiments des autres, etc.
Rose
est ultra-sensible aux faux-discours, à l’hypocrisie et, ironiquement, elle
doit à son tour porter un masque pour survivre à ses relations avec les autres
et peut-être pour survivre tout court.
Des personnages fragiles
Au-delà de la
narratrice, nous avons une famille entière passablement fragile : la mère,
en demande d’attention, d’amour (et accessoirement un peu paumée) ; le
père, traumatisé par le don de son propre père, a adopté une stratégie d’évitement
pour mener la vie la plus banale et rassurante possible ; le fils enfin,
génie des sciences mais en pleine crise dont le destin sera tragique.
Rose et son frère
ont des pouvoirs surnaturels mais sont tout sauf des héros, bien au contraire.
Et cela est amené avec une fraîcheur qui tient à distance tous les clichés.
Une recette équilibrée
Le ton est
faussement léger ; on devine le désenchantement sous-jacent et parfois le
désespoir affleure sans pour autant rendre le livre larmoyant. Enfin, une
touche d’humour pimente l’ensemble. Tout cela donne au texte un charme fou et
le rend addictif. Fantaisiste et légèrement fantastique, il m’a touchée en
plein cœur.
Encore une belle découverte !