Plus doux que la solitude – Yiyun Li
(Kinder
Than Solitude, 2014)
Belfond, 2015, 368
pages
Traduction de
Françoise Rose
Boyang, Ruyu et Moran se connaissent depuis presque
toujours. Ils sont reliés par Shaoai, plus âgée qu’eux, et par le drame qui
survint alors qu’ils finissaient le lycée. C’était à l’époque de la répression
de Tian’anmen.
Aujourd’hui, Ruyu et Moran vivent aux Etats-Unis alors que
Boyang et Shaoai sont restés en Chine. Mais aucun n’est heureux car émigrer
vous condamne au déracinement, au sentiment d’être étranger à votre vie, et la
Chine actuelle enferme plus que jamais les êtres. En outre, leurs destins ont
été marqués à jamais par la tragédie survenue dans leur jeunesse et qui va
rejaillir dans leurs vies.
C’est un roman
magnifique qui tire une bonne partie de son charme des qualités
stylistiques de Yiyun Li. L’auteur créé une atmosphère de mélancolie sourde
teintée parfois d’amertume qui enveloppe le lecteur comme une brume. On a d’ailleurs
le sentiment d’être dans un rêve, avançant dans un paysage cotonneux où les émotions sont étouffées. Très souvent les
personnages semblent prêts à disparaître, engloutis dans un monde qui n’est pas
fait pour eux. Même Boyang, l’homme d’affaires, a des fragilités d’enfant.
Ce parti-pris confère à ces destins un surcroît d’émotion,
ne fait que raviver la corde sensible. Leurs vies anonymes, et plus particulièrement celles de Ruyu et Moran,
perdues dans l’immensité américaine, sont rendues avec acuité.
Ils restent difficiles à aimer car ils ont créé une distance
entre eux et le reste du monde, dont le lecteur, mais aussi parce que leurs
personnalités ne sont guère attachantes. Pourtant
leurs destins intéressent grâce à leurs caractères complexes, insaisissables ;
on a envie de savoir quelles formes prendront leurs vies, quelles directions
ils vont choisir, s’ils se libéreront du passé et comment.
Yiyun Li nous fait participer aux soubresauts de ces âmes
alors même que tout semble calme vu de l’extérieur. Car ces personnages ne
laissent rien transparaître de leurs pensées et de leurs tourments ; leur
passé s’est cristallisé dans leurs cœurs, créant une béance qui les vouent à la
solitude et à la difficulté de communiquer.
« … elle avait
transformé ce lieu plein de jours d’été ensoleillés et magnifiquement coloré à
l’automne en un simple point sur la carte, les années où elle y avaient vécus
se fondant en une longue journée sous anesthésie, dépourvue de tout sentiment.
Non, ce qu’elle vivait n’était pas la solitude ; c’était une interminable
quarantaine. » (p. 257)
L’auteur suit alternativement chacun des trois
amis tout en replongeant dans leur passé commun de temps à autre. Le tout
s’enchaîne fort bien et créé une attente qui rend cette lecture très prenante. Mon intérêt a été immédiat et n’a jamais flanché,
même si je n’ai pas été entièrement ravie par la toute fin.
Le point fort de ce roman, outre son atmosphère, c’est l’étude de la nature humaine dans ce
qu’elle peut avoir de plus cruel, de plus triste et désespéré aussi. On apprend
à déchiffrer chaque personnage, à les connaître mieux qu’ils ne se connaissent
et cette plongée dans les méandres du cœur est captivante.
Yiyun Li est une auteur bien talentueuse que je relirai avec
grand plaisir !
Ce livre m’a été transmis par l’éditeur.