Corrida la honte – Roger Lahana
Editions du Puits de
Roulle, 2014 (seconde édition), 436 pages
Les dessous de la
tauromachie
Préfaces de Gérard Charollois et de Jean-Pierre Guarrigues,
président du CRAC Europe pour la protection de l’enfance.
Cet ouvrage propose une vue d’ensemble de l’univers de la
tauromachie : sa réalité, son fonctionnement, ses débordements et
perversions. Bien que le propos soit uniquement à charge, l’auteur appuie ses
arguments sur des faits (les sources sont toujours indiquées et le lecteur peut
en consulter la grande majorité facilement en annexe ou sur Internet).
La corrida est une bizarrerie du Code Pénal français :
elle n’est légale que dans une poignée de départements du sud de la France. Sur
le reste du territoire, c’est un délit. Cette schizophrénie juridique est un des chevaux de bataille des
anti-corrida qui cherchent à faire supprimer cette dérogation aberrante dont
l’application est encore plus étonnante.
En effet, pour qu’un territoire puisse pratiquer légalement
la corrida, il faut pouvoir invoquer « une tradition locale
ininterrompue » (voir l’article complet ici). C’est là que le bat blesse : la plupart des régions qui
organisent des corridas ont connu au moins une interruption assez longue dans
cette pratique. Or la tolérance des systèmes politique et judiciaire permet
qu’aujourd’hui des corridas aient lieu dans quasiment tout le sud de la France
alors même qu’il n’y a jamais eu de tradition tauromachique dans une bonne
partie de ces régions.
Roger Lahana décrit ce
qu’est réellement une corrida, sans complaisance mais sans forcer le trait
non plus. Il rappelle que le taureau est un herbivore qui devient dans la
bouche des aficionados une bête féroce qui ne demande qu’à en découdre (il faut
bien que le torero trouve une gloire à le vaincre et la réalité n’y suffirait
pas). Il est à noter que des veaux sont également utilisés (quelle est la
dernière fois que vous avez tremblé face à un veau ?).
Parce que leur passe-temps est franchement morbide, il est essentiel
pour les aficionados de le doter d’un
vernis culturel et artistique. Et ils font preuve de beaucoup d’imagination, ne craignant
guère le ridicule, pour expliquer la grandeur de cette « tradition ».
L’auteur démonte tout ce discours avec beaucoup d’ironie mais aussi avec
sérieux quant aux arguments avancés. Le plus révoltant, c’est l’embrigadement
d’enfants au nom de la transmission d’une soi-disant culture notamment par le
biais des écoles taurines où l’on apprend à torturer sans état d’âme dès le
plus jeune âge.
L’auteur dresse le portrait du public de la corrida aujourd’hui,
un public vieillissant qui s’est considérablement raréfié. Cette désaffection
plombe l’économie de la tauromachie
qui vit sous perfusion (subventions, fraudes fiscales, mensonges,…) et l’on
peut se demander ce que l’on attend pour la débrancher.
Parmi les éléments de réponse, l’auteur évoque la
manipulation du pouvoir politique. Comme les chasseurs, les aficionados sont
minoritaires en France mais ils ont leurs relais au parlement et au
gouvernement. On peut véritablement parler de déni de démocratie en ce que des élus tirent des ficelles pour
assurer à une pratique globalement honnie un reste de survivance.
Ce qui retient l’attention, outre la dénonciation d’un
système mafieux, c’est l’expérience de Roger Lahana en tant que militant
anti-corrida. Outre son intérêt à titre général, elle montre qu’à tout le reste
s’ajoute un comportement violent des
aficionados suivant la logique que la violence (envers des herbivores) entraîne
la violence (envers des humains). Or le moins que l’on puisse dire, c’est que
la justice manque d’entrain pour poursuivre les auteurs de ces méfaits.
L’exemple emblématique est le lynchage de Rodilhan le 8 octobre 2011 (voir lien
en fin d’article). A ce jour, le procès n’a pas eu encore lieu. Dernièrement,
il a été annoncé qu’il se tiendrait au premier trimestre 2016 mais aucune date précise
n’étant fixée, les militants restent méfiants et mobilisés : on les
comprend.
Au-delà de l’image superficielle que l’on peut avoir de la
tauromachie, on se rend compte que le milieu baigne dans la perversion
(certaines citations d’aficionados laissent sans voix – cela relève de la
psychiatrie), est profondément malsain à tous points de vue.
Très agréable à lire, bien qu’inégal et parfois répétitif,
ce livre est passionnant, instructif et essentiel
pour une compréhension globale d’une activité qui flirte avec la loi à tous
points de vue, qui repose sur des valeurs pour le moins douteuses et qui bafoue
la démocratie.
Vidéo du lynchage de Rodilhan (entre s’imaginer les faits et les visionner, il y a une
différence de taille, même quand on est convaincu d’avance)