Les
Versets sataniques – Salman
Rushdie
(The Satanic Verses, 1988)
Pocket,
2000, 700 pages
Traduction
d’A. Nasier
Suite à l’explosion d’un avion au-dessus de la
Manche, Gibreel Farishta, acteur indien adulé, et Saladin Chamcha, homme des
Mille Voix et anglophile, tombent du ciel agrippés l’un à l’autre.
Que signifie ce supplément de vie ?
Auraient-ils été choisis par un démiurge ? Et pourquoi ?
Que sont ces rêves qui s’intercalent dans
l’histoire principale et qui semblent entretenir des liens avec elles ?
> Il y a deux obstacles majeurs à sa lecture :
le roman est fort épais et sa narration en mille-feuilles perd le lecteur
pendant un bon moment. Ce n’est qu’une fois que l’on a compris l’organisation
du roman que son sens s’éclaircit et que sa lecture devient aisée, voire
plaisante. Pour le lecteur francophone, il faut aussi compter sur une
traduction abominable. Le style de Rushdie est certes particulier mais il n’a
rien à voir avec cette bouillie parfois à la limite du lisible.
> Le récit principal est entrecoupé d’histoires a priori totalement déconnectées, et de
l’histoire de départ, et entre elles. Or quelques indices nous font deviner le
maillage qui les relie et le projet de l’auteur. C’est finalement très bien
conçu même si le lecteur doit prendre son mal en patience. En outre, le roman
est foisonnant, très « indien » : quantité de personnages (et
l’idée de Rushdie peut renforcer la confusion), des aventures qui partent en
tous sens au point de faire douter le lecteur de l’existence d’une structure
quelconque, un langage dont la sobriété est exclue auxquels il faut ajouter du
réalisme magique. Comparativement, Les enfants de minuit, qui compte
pourtant bien des points communs avec ce livre, est soporifique.
> Cependant, sur le fond, ce n’est pas du tout un
livre compliqué ; c’est la forme qui demande le plus d’attention. Ainsi on
peut considérer que ce roman est tout à fait accessible, ce que sa réputation
ne laisse pas entendre.
Gibreel et Saladin traversent des crises
identitaires particulières puisqu’ils ont été sauvés mais aussi pris en otage
par une puissance un brin sadique ; ils ne s’appartiennent plus. L’un
finira fou ; l’autre s’en sortira in extrémis.
Entretemps, une débauche d’aventures se déroule
très progressivement et le lecteur patient en sera récompensé.
> Ce roman, perçu avant tout comme une critique de
l’islam ou, à tout le moins, comme une histoire de mauvais goût tournant en
dérision l’islam est en vérité une œuvre d’imagination où l’auteur fait certes preuve
d’impertinence mais ce n’est pas un crime (Saramago, avec L’évangile de Jésus Christ,
roman joyeux et irrévérencieux s’il en est, essuya quelques secousses et finit
par s’exiler aux Canaries. Cela est sans commune mesure avec les conséquences
qu’eut la publication des Versets
sataniques sur Rushdie). A moins d’avoir l’esprit tordu, ou de n’avoir rien
compris au roman, on ne peut pas s’arrêter à cela. Cette œuvre dépasse de loin
la critique bête et méchante d’une religion, religion que Rushdie choisit parce
que c’était celle qu’il connaissait le mieux. D’ailleurs, l’écrivain ne se gêne
pas non plus pour dénoncer le regard des occidentaux sur les orientaux et les
non-Blancs en général ; les difficultés des immigrés et la partialité de
la police à leurs égards sont amplement abordées et cela sans le moindre
angélisme, bien au contraire. De même, la société indienne en prend pour son
grade.
En définitive, ce que l’on retient de ce livre,
c’est son histoire au déploiement très réussi, parfois amusante et surtout
débordante d’imagination. Et c’est bien le travail de l’écrivain que de se servir
de la fiction pour enchanter le lecteur. On finit par se dire que c’était un
peu court et que l’on n’était pas prêt à abandonner les personnages.