Just
Kids – Patti Smith
(Just
Kids, 2010)
Éditions Denoël, 2010, 336 pages
Traduction de Héloïse Esquié
(existe en poche chez Folio)
Ce livre raconte une partie de la vie de Patti
Smith et plus précisément la période qui va de sa rencontre avec Robert
Mapplethorpe à leur séparation progressive.
Son intérêt réside dans deux points :
découvrir l’émergence et l’évolution de deux artistes et se plonger dans le New
York de l’époque (années 60-70).
> Le livre est agréable à lire car le style est à la fois direct et vivant
mais suffisamment soutenu pour éviter les désagréments de l’oralité. Patti
Smith a su tirer profit de ses lectures (avec un goût marqué pour les poètes
français dont Rimbaud). Si ses élans lyriques
peuvent être pesants, il faut reconnaître qu’elle sait raconter avec grâce et
un sens de la formule qui évite avec élégance tous les clichés.
> Suivre le cheminement de chacun est instructif aussi bien sur les conditions
de vie des artistes qu’en ce qui concerne les tâtonnements dans leurs
pratiques. Les deux se cherchent mais Robert est sûr de son destin quand Patti
est plus rêveuse. Paradoxalement, en cas de coup dur, c’est plutôt elle qui s’avère
pragmatique quand lui s’inquiète constamment de leur survie. Cette rencontre
fut essentielle pour eux deux mais c’est Robert qui met Patti sur les rails de
la création en montrant l’exemple d’un être dédié à l’art et travaillant d’arrache-pied
pour arriver à ses fins.
Robert a pour objectif affiché le succès : il
veut devenir célèbre et, au-delà de son peaufinage artistique, il travaille ses
relations et comprend qu’il importe de se montrer dans les lieux qui comptent.
Patti n’est pas dans cette logique ; elle a plutôt tendance à faire
confiance au destin, à la chance, voire à dieu (à noter que l’auteur est très
marquée par la religion et que le lecteur allergique à toute mention religieuse
peut vite suffoquer par moment). Leurs échanges sur l’art, sur leurs visions de
leur époque et de leurs travaux sont passionnants. A propos de Warhol que
Robert vénérait, Patti écrit : « Ma
préférence allait à l’artiste qui transforme son temps plutôt qu’à celui qui se
contente de le refléter. »
>La peinture
du New York de l’époque est fascinante. La ville est un vivier d’artistes qui deviendront pour beaucoup célèbres, mais qui
mourront aussi pour beaucoup très jeunes. Patti Smith nous permet de les
découvrir alors qu’ils accédaient à la notoriété, qu’ils devenaient des idoles
pour leur génération et les suivantes. Elle nous donne à voir les hommes et
femmes derrière les paillettes du show
business et ils sont presque tous émouvants à moins que ce ne soit le
regard plein d’empathie de Smith qui les fasse apparaître sous ce jour. L’importance que tenait alors la poésie distingue, il me
semble, cette époque de la nôtre qui n’accorde guère de place à ce genre. Les
arts étaient moins cloisonnés ; les échanges plus nombreux. Ce n’est
peut-être qu’une impression.
> Au début des années 70, un tournant est
marqué et pour nos deux apprentis c’est la fin d’une époque (celle passée au
Chelsea Hotel lieu de rencontres et de vie pour les artistes) et le début d’une
autre (celle de la séparation mais aussi du succès). Patti Smith écrit : « Beaucoup n’y survivraient pas. […] Je ne tire pas particulièrement gloire du
fait d’appartenir aux quelques poignées de survivants. J’aurais préféré les
voir tous réussir, décrocher la timbale. Mais en fin de compte, c’était moi qui
avais l’un des meilleurs chevaux. »
Ces remarques sont révélatrices de son caractère empathique et altruiste.
Tournée vers les autres, ouverte, elle évite de juger et s’avère toujours
pleine de gratitude envers la vie et les autres. Il est évident que son état d’esprit
et sa force de caractère sont les fondements de sa réussite. Certes une
(auto)biographie est toujours à prendre avec des pincettes mais c’est en lisant
ce qu’elle n’écrit pas que l’on est assuré de son intégrité morale.
En dépit de quelques longueurs voire de quelques
lourdeurs, ce livre se lit comme un roman et laisse son empreinte au-delà de
ses deux principaux protagonistes. Il ouvre des portes vers d’autres œuvres et
donne envie de lire enfin tous ces écrivains qui sont sur nos listes depuis la
nuit des temps, d’écouter ces chanteurs et musiciens que l’on perçoit désormais
un peu différemment et de voir les œuvres des uns et des autres.