Épépé –
Ferenc Karinthy
(Épépé,
1970)
Editions Denoël, 2005, 288 pages
Traduction de Judith et Pierre Karinthy
Préface d’Emmanuel Carrère
« En y
repensant, ce qui a dû se passer, c’est que dans la cohue de la correspondance,
Budaï s’est trompé de sortie, il est probablement monté dans un avion pour une
autre destination et les employés de l’aéroport n’ont pas remarqué l’erreur. »
Budaï est un linguiste qui, alors qu’il se rend à
une conférence à Helsinski, échoue dans un tout autre endroit. Au début,
seulement ennuyé, il se dit qu’il n’a qu’à retourner à l’aéroport et prendre le
prochain avion qui le conduira à destination. Mais il se heurte à un
comportement étrange des locaux et à une langue inconnue,
incompréhensible et indéchiffrable.
La profession de Budaï en fait quelqu’un d’armé
pour affronter une telle situation. Pourtant, après une étude minutieuse des
sons, signes et de tout ce qui peut caractériser une langue, Budaï ne peut que
conclure qu’il se trouve face à un isolat.
Ce roman est très prenant :
> L’auteur ne cherche pas la facilité, bien au
contraire. Il place tous les obstacles possibles pour contrarier son
personnage.
> Budaï est quelqu’un d’opiniâtre qui force
l’admiration. Il teste toutes les options qui pourraient lui permettre de
quitter cet endroit. Il est à la fois méthodique et humain, c’est-à-dire
susceptible de céder par moment au découragement et de devenir brouillon,
désespéré.
> En dépit de la localisation de l’intrigue dans un
pays fictif, l’auteur arrive à créer une histoire réaliste. En effet, le
comportement de Budaï est globalement rationnel et ses réactions sensées. Comme
l’écrit Carrère dans la préface, Budaï suit une logique quasi-mathématique,
rigoureuse ; il fait appel à sa formation de linguiste ; il a les pieds sur terre
et sait prioriser les actions à prendre.
> Si Karinthy joue au chat et à la souris avec son
héros, le lecteur capable d’empathie vit un cauchemar par procuration (si vous êtes plutôt d’un naturel sadique, vous y trouverez aussi votre compte
puisque Budaï collectionne les échecs).
L’intrigue est fort bien construite et, au-delà
des mésaventures de Budaï, le lecteur a l’occasion de réfléchir à nombre
questions (deux exemples) :
> Le basculement que peut prendre la vie d’une
personne « éduquée » qui se retrouve aussi démunie qu’un analphabète
pour peu qu’on la déracine.
> Budaï remarque que dans ce pays, même les
autochtones ne semblent pas se comprendre ou, plutôt, que « … personne n’écoutait personne. » A
ce titre, cette « fable » est universelle et intemporelle, voire particulièrement actuelle.
Enfin, ce livre est étonnant. Sa dernière
« partie » peut sembler complètement déconnectée du reste alors
qu’elle est plutôt l’occasion de faire évoluer encore une fois Budaï en le sortant
de la routine tout en soulignant ce qui m’a paru être une critique politique,
voire sociale.
Il n’est pas impossible que j’aie aimé ce livre de
la première à la dernière page.
« Il
est tout à fait confiant, il sera bientôt chez lui. »