(Speak, 1999)
La Belle Colère(*), 2014, 304 pages
Traduction de Marie Chabin
« C’est la rentrée ; mon premier jour au lycée. »
A son entrée au lycée, Melinda Sordino est une paria : ses anciennes amies l’ont laissée tomber et tout le monde la regarde de travers. Ses parents, peu chaleureux (dans la famille, la majorité des échanges se fait par post-it interposés), lui reprochent son mutisme quand, convoqués par le lycée, ils sont confrontés à son silence.
En effet, suite à un traumatisme, Melinda n’arrive plus à s’exprimer et, plus le temps passe, plus elle se referme sur elle-même. Or il est bien connu que « le mal-être, c’est trop compliqué, contagieux, pas fun. » (extrait de la quatrième de couverture). Au fil des trimestres, Melinda s’embourbe et son silence est considéré par les adultes comme un signe de rébellion.
Il m’a fallu dépasser le premier tiers du livre pour enfin trouver un ton spécifique à ce roman, une identité bien à lui et, ironiquement, c’est le chapitre sur Thanksgiving qui m’a convaincue. A partir de là, mon intérêt n’a jamais faibli, bien au contraire.
En dépit de différences culturelles, les problèmes que rencontrent les ados sont les mêmes ici et ailleurs et c’est ce qui rend ce roman intéressant pour toute une classe d’âge. Au-delà du traumatisme spécifique de Melinda, nous retrouvons ici tout ce qui caractérise la vie d’un adolescent notamment sur un plan social. Si Melinda semble être la seule personne isolée, c’est certes lié à un événement précis mais c’est aussi parce que les autres se sont empressés de trouver un groupe auquel appartenir. Le problème de Melinda, c’est qu’elle ne peut plus se rattacher à qui que se soit, à la fois parce que personne ne veut d’elle et parce qu’elle-même est incapable de mener une vie normale après ce qui est arrivé. Comment faire semblant que tout va bien quand tout va mal ? Melinda n’a pas trouvé d’autre solution que de se taire, se faire toute petite, essayer de se diluer dans la vie du lycée, disparaître, s’anéantir.
« Les personnes qui ne s’expriment pas meurent à petit feu. Tu serais étonnée de savoir combien d’adultes sont déjà morts à l’intérieur… Ils avancent sans savoir qui ils sont, en attendant qu’une crise cardiaque, un cancer ou un semi-remorque vienne finir le boulot. » lui dira M. Freeman, son professeur d’arts plastiques, quand Melinda lui confiera par mégarde qu’elle ne sait pas ce qu’elle est supposée ressentir.
Vous parler de ça est un roman sur une renaissance douloureuse qui ressemble la plupart du temps à une descente aux enfers. Il m’a paru retracer avec justesse ce combat que l’on mène seul, dans le désespoir le plus complet, en adoptant une stratégie erronée mais répondant à ce que l’on croit être notre seule issue. Melinda a fermé la porte aux émotions afin de ne plus être blessée ; l’indifférence est sa meilleure cuirasse… C’est du moins ce qu’elle croit.
Mais si Melinda est perdue en ce qui concerne son cas, elle porte un regard lucide sur le monde qui l’entoure. Ses remarques sur le lycée et sa famille sont très bien vues, mordantes et avec ce ton que l’on perd souvent en devenant des adultes.
Si mon peu de goût pour les adolescents m’a tenue un temps éloignée de l’héroïne, j’ai fini par ressentir beaucoup d’empathie à son égard ; elle est émouvante dans son combat et j’ai terminé le livre en retenant mes larmes, ce qui est vraiment rare.
C’est un roman à faire lire aux adolescents qui peuvent en tirer de nombreuses leçons de vie en fonction de leur situation, même si on n’a pas toujours envie de retrouver dans un roman son quotidien. Mais je crois très sincèrement que Vous parler de ça a des chances de parler directement au cœur des jeunes, du moins je l’espère. J’aurais aimé que de tels romans existent quand j’avais cet âge.
« J’aimerais bien vous en parler. »
(*) La Belle Colère est un label créé par Stephen Carrière et Dominique Bordes et rattaché aux Éditions Anne Carrière.