L’invité du soir – Fiona McFarlane

invité du soir - Fiona McFarlane
L’invité du soir – Fiona McFarlane
(The Night Guest, 2013)
Editions de l’Olivier, 2014, 272 pages
Traduction de Carine Chichereau
(existe en poche chez Points)


« Ruth s’est réveillée à quatre heures du matin et son cerveau endormi lui a murmuré : ‘ Tigre.’ »


Ruth, 75 ans, vit seule dans une maison en bord de mer que le sable semble vouloir ensevelir. Si Ruth n’est plus une jeunesse, elle est indépendante et met un point d’honneur à assumer les tâches du jour sans aide aucune.
Mais une nuit, Ruth est réveillée par la sensation qu’un tigre se promène dans sa maison. Elle téléphone à l’un de ses fils qui, évidemment, ne la prend pas au sérieux et commence à se dire que la santé mentale de sa mère est bien plus en péril qu’il ne l’avait imaginé.
Le lendemain, apparaît Frida qui se présente comme une aide-ménagère envoyée par le gouvernement. La relation entre les deux femmes va s’avérer complexe et, si le lecteur garde une idée claire du rôle de chacune, l’auteur saura ménager une certaine ambiguïté.

La littérature australienne actuelle semble connaître un véritable renouveau avec des écrivains qui se taillent une place auprès de leurs aînés dès leurs premiers livres. C’est le cas notamment avec ce roman. En effet, ce livre témoigne d’une maîtrise narrative qui repose certes sur des concepts basiques mais qui nous épargne le formatage si répandu ces dernières années dans la littérature anglo-saxonne, en particulier chez les nouveaux auteurs.
De même, ses personnages sont équilibrés : Ruth et Frida répondent à un schéma attendu et, en même temps, nous ne pouvons nous empêcher de douter.
Ruth est-elle réellement victime de l’implacable Frida ? Frida est-elle aussi diabolique qu’elle en a l’air ? Dès que le lecteur a le sentiment d’avoir tranché ces questions, l’auteur introduit un incident qui sème la confusion. Ruth n’est-elle pas, au fond, telle qu’elle apparaît : une vieille dame qui commence à perdre un peu la tête ? Frida ne fait-elle pas de son mieux pour sauver les apparences, entrer dans le jeu de Ruth, voire lui faire plaisir ? Mais pourquoi se comporte-t-elle de façon à ce que tout la désigne comme une manipulatrice ?

« [Ruth] a songé qu’elle n’avait peut-être jamais fait confiance à Frida. Mais bon, elle ne se faisait pas non plus confiance à elle-même. » (p. 252)


S’il est vrai que le suspense est loin d’être insoutenable, la curiosité du lecteur est toujours maintenue à flots. Ce face-à-face devient, au fil des pages, de plus en plus tendu, même si on peut regretter des intervalles un peu plats ou des redites et une sous-exploitation de l’image du tigre pourtant fort bien trouvée.

Le regard que l’on porte sur Ruth en particulier finit par être ambivalent. Est-ce cela vieillir ? Transformer ses déceptions en peurs ? Ne plus savoir ce qui appartient au domaine du souvenir (voire de la réalité) et à celui du fantasme ? Tenter de grignoter des moments de vie qui nous ont échappé par le passé ? Réécrire le présent pour s’inventer une nouvelle personnalité ?


Au-delà du thème général de la vieillesse et des questions associées, j’ai apprécié la façon dont l’auteur mêle des situations prosaïques et un regard poétique où tous les sens du lecteur sont appelés à participer.
En définitive, à travers une histoire plutôt banale, Fiona McFarlane entrebâille de nombreuses portes : certaines prévues, d’autres vraisemblablement pur produit de mon imagination. C’est un livre qui fait plus réfléchir une fois la lecture finie qu’en cours de route ; il s’introduit dans notre esprit et, tel l’invité de Ruth, laisse des traces de son passage en nous.


Ce livre m'a été transmis par l'éditeur.