Van Gogh, le suicidé de la société – Antonin Artaud
Gallimard, collection L’Imaginaire, 2001, 96 pages
Préface d’Evelyne Grossman
Il vaut mieux avoir quelques « bases » avant d’aborder ce livre : des bases relatives à l’œuvre de Van Gogh, bien que l’on puisse d’un clic aller voir ses tableaux sur le net même s'il me semble que cela brise la lecture, mais aussi en ce qui concerne sa vie et, enfin, bien mieux connaître Artaud que ce n’était mon cas (lire ses cahiers et lettres de Rodez devrait être éclairant).
La thèse d’Artaud est assez simple à cerner, toutefois. La société ne supporte pas les génies, les artistes car ils remettent en question ses codes. De fait, on déclare ces personnes folles grâce aux psychiatres et autres médecins (« La médecine est née du mal, si elle n’est pas née de la maladie. ») qui ont, dès lors, pour mission de les faire enfermer ou du moins de s’arranger pour que ces personnes se voient bridées. D’où la conclusion : Van Gogh s’est suicidé sous la pression de la société. Il n’arrivait pas à entrer dans le moule dans lequel on voulait le confiner, alors il a craqué : « … on ne se suicide pas tout seul. ». Cela n'avait rien à voir avec sa présupposée folie.
« C’est ainsi qu’une société tarée a inventé la psychiatrie pour se défendre des investigations de certaines lucidités supérieures dont les facultés de divination la gênaient. »
Le ton est à la révolte mais j’ai apprécié la nuance qu’apporte la préfacière : « Si la souffrance et les cris de révolte sont omniprésents chez Artaud, c’est toujours sur fond de violente poussée vitale — on l’a trop souvent oublié. »
Il n’en reste pas moins qu’Artaud projette sa propre expérience (il fut interné pendant plusieurs années et subit maints électrochocs ; la publication de Van Gogh se fait l’année suivant sa sortie et il mourra un an plus tard). Sa haine des psychiatres naît de ce qu’il a enduré, pas de l’expérience de Van Gogh.
« Et qu’est-ce qu’un aliéné authentique ?
C’est un homme qui a préféré devenir fou, dans le sens où socialement on l’entend, que de forfaire à une certaine idée supérieure de l’honneur humain. »
Artaud est vraisemblablement devenu enragé suite à ses internements car, si je le suis pour dire que la société n’aiment pas les gens qui n’entrent pas dans les cases, j’ai plus de mal avec ses propos extrémistes. Par exemple, il me semble évident que les artistes et les gens hors-normes en général dérangent, et que l’on cherche toujours à étouffer celui qui a décidé de déchirer le voile des apparences et de montrer le monde dans sa nudité (« Car un aliéné est aussi un homme que la société n’a pas voulu entendre et qu’elle a voulu empêcher d’émettre d’insupportables vérités. »). En revanche, quand Artaud déclare : « Il y a dans tout dément un génie incompris… », il exagère en généralisant.
Si j’ai réussi à le comprendre sur ce plan-là, j’ai eu plus de mal quand il évoquait le cas de Van Gogh qui, en définitive, passe pas mal au second plan. Sa vision du peintre m’a souvent mise mal à l’aise, tout en me faisant m’interroger, en m’obligeant à me souvenir de tout ce que je savais et avais vu de Van Gogh.
Le livre comprend quelques extraits de lettres du peintre décrivant certaines de ses toiles. J’ai été marquée par l’objectivité de ses descriptions qui transmet, paradoxalement, beaucoup d’intensité, rendant les tableaux vivants alors même que je n’avais pas idée de quelles œuvres Van Gogh parlait.
« Il arrive des jours où le cœur sent si terriblement l’impasse qu’il en prend comme un coup de bambou sur la tête… ».
Ce livre est à la fois bouleversant, dérangeant, poignant, déroutant. Il faut le lire d’une traite, sinon on s’y perd. On en ressort passablement secoué et il est difficile de dire si on a aimé ou pas l’expérience.