Le Loup des steppes – Hermann Hesse


Le Loup des steppes – Hermann Hesse
 (Der Steppenwolf - Erzählung, 1927)
Le Livre de Poche, 2009, 312 pages
Traduction d’Alexandra Cade


« Cet ouvrage contient les carnets laissés par un homme que nous appelions ‘Le Loup des steppes’, surnom qu’il employait lui-même fréquemment. »


Choisir un qualificatif pour situer ce livre sans pareil est vain ; vouloir donner une idée de l’effet qu’il m’a fait l’est tout autant. Pourtant, parce que se taire après avoir rencontré un des meilleurs livres que j’aie lus à ce jour est impensable, je vais essayer de rendre compte de cette expérience.

Selon la quatrième, Thomas Mann aurait déclaré : « Ce livre m’a réappris à lire. » Je dirais, pour ma part, que ce livre m’a confirmé que je savais lire et que j’étais, justement, avide de telles rencontres ; que ce roman représente ce que j’attends de la littérature. Rares sont les livres de cette trempe, où l’on a le sentiment que l’auteur a écrit pour vous, qu’il a vu en vous, qu’il vous parle personnellement et qu’il vous propose, non seulement un miroir, mais aussi un « remède ». 
C’est d’ailleurs ce qui arrive à Harry Haller* notre Loup des steppes, qui tombe sur un prospectus décrivant ce qu’est un Loup des steppes, c’est-à-dire parlant de lui. Cette description le laisse déchiré car, s’il ne se reconnaît que trop bien dans ce portrait, il souffre de ce qu’il y voit. Il devine qu’il lui faudrait « s’engager dans un nouvel accomplissement de lui-même… » afin de se libérer de sa personnalité encombrante.

Le Loup des steppes englobe la vie ; il parle d’immortalité, l’immortalité de l’esprit bien sûr. Je ne crois pas, néanmoins, que le choc que m’a procuré ma lecture soit purement cérébral, car ce livre s’adresse à la personne entière du lecteur, à ce qu’il est ; il l'oblige à décortiquer ses convictions, à les considérer sous leurs angles les plus obscurs pour, ensuite, proposer une autre façon d’appréhender le monde, une manière de le supporter en déchirant le rideau qui nous cache les possibilités qu’offre la vie, notre propre vie.


Il y a désormais, pour moi, un « avant » et un « après » ma lecture du Loup des steppes. Kafka a écrit : un livre doit être la hache pour la mer gelée en nous ; ce livre fut une hache.


(*) Je me trompe peut-être, mais je ne crois pas que ce soit une coïncidence que les initiales du héros et celles de l'auteur soient identiques. En effet, dans une lettre de Hesse présentée avant le roman, l'auteur indique clairement à son détracteur : « Ma tâche ne consiste pas à donner aux autres ce qui est objectivement le meilleur, mais à leur donner ce qui m’appartient en propre… ».  D’une façon générale, Hesse défend son livre en mettant en avant son expérience et ses valeurs, deux éléments que l’on retrouve dans le roman. Evidemment, ma théorie vaut ce qu’elle vaut, c’est-à-dire peut-être rien.