There but for the – Ali Smith
Penguin Books, 2012, 357 pages
(Le fait est en français - Editions de l'Olivier, 2014)
‘The fact is, imagine a man sitting on an exercise bike in a spare room.’
Lors d’un dîner donné à Greenwich chez les Lee, Miles Garth, un des invités, va s’éclipser pour ne jamais revenir à table. Or il s’avère que Miles s’est enfermé dans une des chambres à l’étage, et que selon toute probabilité il ne compte pas en sortir.
Cette situation anormale va conduire des personnes très diverses à revoir leur comportement, leur façon d’appréhender le monde.
En quatre parties, Ali Smith a créé une œuvre très habile qui fait sens au point que le lecteur ne peut qu’être franchement admiratif. Si la maîtrise narrative joue un rôle prépondérant dans ce roman, on ne peut pas, néanmoins, réduire ce livre à une simple question de technicité ; cette dernière est très bien utilisée au service d’un message qui n’a rien d’impersonnel et témoigne d’une sensibilité tout à fait à mon goût. Ali Smith repousse les frontières de la fiction, non seulement dans sa façon de découper le livre, mais aussi dans celle d’utiliser les flux de conscience des personnages qui se croisent, se superposent et créent des connections enchanteresses.
Ce qui est également séduisant dans ce roman, c’est le mélange de réflexion et d’humour. Le premier ingrédient est efficace sans peser, et le second apporte à la fois profondeur et légèreté. Ce mix se retrouve tout particulièrement dans le personnage de Brooke Bayoude, une enfant de 9 ans présente au fameux dîner, dont la curiosité est encouragée par ses parents qui répondent à ses questions le plus sérieusement du monde et ne la considèrent pas comme un interlocuteur de seconde catégorie (ce que, de toute façon, Brooke n’autorise pas : ‘You are lecturing me […] I resist all attempts at lecturing and indoctrination.’, dira-t-elle à son père à un moment donné). Par sa vivacité d’esprit qui désarçonne, sa capacité à intégrer toute nouveauté comme les jeux de mots, son humour pince-sans-rire, son irrévérence aussi (si dans vingt ans, une seule chose doit me rester de ce livre, ce sera bien : ‘Duh. Obviously’), mais également le fait qu’elle est encore une enfant, c’est-à-dire un être encore sensible au jeu, au « faire semblant » et au pouvoir de l’imagination, Brooke est un personnage moteur dont la voix nous interpelle.
Ce livre nous interroge sur la différence entre signification et fait, joue sur les notions de connaissance et d’incertitude, ou encore sur notre tendance à prendre pour certain quelque chose qui peut être amené à évoluer. Il défie nos attentes, laissant le lecteur constamment sur des charbons ardents.
Par son attitude, Miles va obliger des personnes très différentes à changer leur façon d'agir, de se comporter envers les autres. Il va remettre en question leur quotidien, cette vie où l'on oublie trop souvent de regarder ce qui se passe autour de nous et en nous. Qui sommes-nous ? Que signifie nos actes ? Que savons-nous, finalement ?
Ali Smith nous questionne et nous montre que la société, c'est chacun de nous, et que nous la modelons par nos comportements : nous avons le choix et nous vivons dans le monde que nous méritons.
Ce livre redonne foi en l'humanité ; c'est une petite merveille, une bouffée d'air pur, du bonheur en barre.
‘She unfolds the piece of paper in her hands and she reads again the story written on it.’