P.O.L, 1998, 93 pages
Juliet a rencontré BVV par le biais de Jacques Putman en 1964. Ces rencontres se poursuivront (du moins dans le cadre de ce livre) jusqu’en 1977, sachant que Bram Van Velde est décédé en 1981.
Bram Van Velde a connu une jeunesse difficile, misérable, et vivra longtemps dans le dénuement le plus absolu. Cela a sûrement forgé l’homme qu’il est devenu : peu à l’aise avec les mots qui sont toujours susceptibles de trahir sa pensée, exigeant au sens noble du terme et à la recherche de la vie, la vraie. Avec lui, c’est tout ou rien et, confie-t-il à Juliet en 1967 : « Je peins l’impossibilité de peindre. » Mais aussi : « Je ne peux rien dire, rien expliquer. La toile ne vient pas de la tête, mais de la vie. » Et plus loin : « Non, je n’ai rien fait. J’ai donc intensément travaillé. » ; « Je ne fais que chercher la vie. Tout ça échappe à la pensée, à la volonté. »
Plus que de peinture, les dialogues entre les deux hommes traitent d’une philosophie de la vie.
Juliet : « … il parvient à parler sans faire de phrases. Et pourtant, on comprend parfaitement ce qu’il veut exprimer. Mais jamais de raisonnements, d’enchaînements d’idées. Rien que le fait, la constatation nue, la fulguration qui le traverse. »
En effet, BVV n’est pas un cérébral et mise sur ce qui dépasse l’individu, sur l’indicible d’où la peinture plutôt que les mots. C’est Beckett avec un pinceau (Beckett aussi ne se considérait pas comme un intellectuel et les quelques textes de lui que j’ai lus m’ont toujours donné ce sentiment. On pense que c’est froid, lointain, travaillé alors que Beckett va au cœur des choses, touche au sensible, à l’impératif. Cela me rappelle les propos que cite Danièle Sallenave dans La vie éclaircie : Beckett répondant à la question « Pourquoi écrivez-vous ? » par « [je ne suis] bon qu’à ça ».).
Une fois ses toiles peintes et n’étant plus sous ses yeux, BVV passe à autre chose et ne se préoccupe pas des expositions le concernant. Ce qui l’intéresse, c’est ce qui palpite autour de lui et qui va bientôt faire surgir autre chose, c’est l’intensité qui l’habite quand il peint, l’intensité de la vie qu’il cherche à approcher au plus près. Il s’oppose à l’art qui veut démontrer, s’imposer : « Ma toile propose mais n’affirme jamais. Ne pas chercher à convaincre. A prouver quoi que ce soit. »
De même, dans son attachement à la vie et au présent, il explique sa capacité à se renouveler du fait qu’il suit le mouvement de la vie et va donc toujours vers la nouveauté, l’inconnu.
Bram Van Velde appartenait à la peinture et, comme le constata Beckett, il devait peindre parce qu’il y était obligé qu’il le veuille ou non.
« Ce que j’ai fait, je l’ai fait pour pouvoir respirer. Il n’y a là aucun mérite. » Juliet note que Beckett lui fit la même réflexion, vraisemblablement en utilisant les mêmes mots.
C’est une lecture d’une extrême richesse, qui fait grandir, qui nourrit la propre réflexion de chacun sur la vie et sur l’être.