Les tendres plaintes – Yoko Ogawa
(VO, 1996)
Actes Sud, 2010, 240 pages
Traduction de Rose-Marie Makino-Fayolle
Ruriko s’enfuit au chalet familial sur un coup de tête, lassée de l’infidélité et de la violence de son mari. Là, elle espère trouver du répit, et, d’une certaine façon, elle va effectivement pouvoir se ressourcer dans cet endroit isolé, au cœur de la nature.
Son plus proche voisin, Nitta, fabrique des clavecins, aidé par Kaoru. Ruriko se lie rapidement avec eux et, dans un premier temps, ces relations lui apportent l’apaisement qu’elle cherchait.
« … nous avons parlé de toutes sortes de choses. Du roman qui nous avait le plus émus. De nos souvenirs de voyages. De notre premier amour. De la manière de vivre une journée idéale. »
Mais, si Nitta et Kaoru se sont également installés dans ces montagnes, c’est parce qu’eux aussi ont des blessures à panser et ils se sont plus « réfugiés » qu’installés au cœur des bois. En outre, leur passion commune les rapproche d’une façon qui, par défaut, exclut Ruriko, quelle que soit leur bonne volonté et leur gentillesse à son égard.
Ce livre m’a profondément touchée. Il parle du cœur humain, de sa fragilité, de ce que nous ne contrôlons pas et qui nous déstabilise. C’est un roman marqué par la douleur et, en même temps, l’écriture d’Ogawa le rend « cosy » ; le lecteur se sent lui aussi dans un cocon protecteur au sein duquel se joue des drames : ce roman est un oxymore.
Les thèmes et symboles chers à l’auteur parsèment le livre. Au hasard, citons l’importance des sens, l’insolite, la douleur physique et morale, l’eau sous toutes ses formes (neige, pluie, étang … et évidemment, piscine !), l’attachement aux détails, les métiers médicaux (le mari de Ruriko est ophtalmologue) ou particuliers (Nitta est facteur d’instruments, Ruriko calligraphe).
Ce roman ressemble à une bulle, non seulement parce qu’il m’a absorbée entre ses lignes mais aussi par sa complétude. Il ne présente aucune aspérité tout en ayant du caractère.
Ogawa prend le temps de développer un univers riche que ses courtes histoires ne permettent pas de faire mûrir et, en prime, son style peut lui aussi s’épanouir pleinement (j’ai recopié une bonne vingtaine de passages dont certains sont juste « beaux »). Elle nous offre le parcours d’une femme déstabilisée qui va suivre un chemin tortueux pour essayer de reprendre contact avec la vie et avec elle-même. Ruriko va s’accrocher à Nitta car elle croit qu’il peut la sauver.
La musique est primordiale dans ce livre dont le titre est emprunté à une pièce pour clavecin de Rameau. Les tendres plaintes traduit bien les souffrances du cœur et le vent qui souffle autour du chalet semble ajouter sa voix au trio. Tout comme les chemins du cœur sont mystérieux, la musique apparaît comme surnaturelle.
Ce très beau roman intimiste offre une peinture de l’âme particulièrement réussie.