Mort d’une libraire – Alice Slater

 

Mort d’une libraire – Alice Slater

Mort d’une libraire – Alice Slater
(Death of a Bookseller, 2003)
Éditions La Croisée, 2024, 384 pages
Traduction de Nathalie Peronny

 

Roach, libraire à Londres, gère son rayon true crime d’une main de maître. Ses passions : les meurtres non élucidés, les escargots, la mort. Dans la librairie en déclin, débarquent un jour de nouveaux libraires pour une reprise de la dernière chance. Parmi eux, Laura, employée modèle, poète à ses heures perdues, un rayon de soleil face à la sombre Roach. Entre elles, un jeu de fascination et de répulsion s’installe. Et Roach, intriguée par la perfection de façade de Laura, commence à fouiller dans sa vie, jusqu’à aller trop loin.

La présentation éditeur parle d’un « contrepied ironique aux romans feel good » et c’est ce qui m’a incitée à me pencher sur ce roman. En revanche, difficile de déterminer si j’ai aimé ou pas dans l’ensemble.

Ce qui m’a gênée, c’est qu’autant « contrepied » qu’il soit, ce roman est très imprégné du « style feel good » : simple à lire, il est aussi simple sur le fond (autrement dit, basique et superficiel, même quand il soulève des sujets forts, ce qui est frustrant), attaché aux codes sociaux de la société contemporaine (notamment, les rites du quotidien, en particulier des populations urbaines ou encore l’apparence – par moment, j’avais l’impression de m’être perdue sur Instagram), l’accent porté sur l’émotionnel (tout est psycho-drame), etc. Cela dit, je conçois que cette approche fait partie du jeu, même si j’en ai été agacée.

Un autre point qui m’a pesé vient des personnalités des deux narratrices : elles sont aussi caricaturales l’une que l’autre et aussi insupportables. Roach est d’une immaturité abyssale et la volonté de l’opposer à Laura conduit l’autrice à forcer un peu trop le trait. Disons que le second degré ne me semble pas justifier un antagonisme aussi poussé et je n'aurais pas été contre un peu de subtilité.

« Il n’y avait pas de clients pour venir m’interrompre et m’emmerder avec leurs questions. Le rêve, quoi. »

Pour le reste, on passe un bon moment et, exception faite de la réserve ci-dessus, le contrepied est bien pensé (amis du 1er degré passez votre tour !). En particulier, un côté qui m’avait incité à lire le texte, à savoir le contexte fantasmé de la librairie : Alice Slater remet les pendules à l’heure et ne romantise pas du tout le job (et ça fait du bien). J’ai aimé aussi certaines remarques bien vues, l’humour qui transparaît, l’énergie de l’écriture, la façon de décrire une personne qui perd pied, la mise en scène du processus de harcèlement et les jeux de pouvoir. Pas mal de choses finalement !

En résumé, c’est une lecture de détente plaisante qui mérite le détour mais qui sera vite oubliée par manque de profondeur.

 


Mont-Cinère – Julien Green
Livre de poche (épuisé) 352 pages

 

Premier roman de l’auteur, paru en 1926, Mont-Cinère témoigne déjà d’une maîtrise narrative impressionnante, même si imparfaite, et d’un style classique et posé.


Si vous avez l’occasion d’avoir un exemplaire en main, ne lisez pas la 4ème car elle raconte le dénouement, alors même que Green consacre une belle énergie à nous tenir en haleine et à organiser des revirements de situation tout au long du roman.

Mont-Cinère est le nom de la propriété dans laquelle Emily est née et a grandi : elle ne connaît rien d’autre au monde et elle tient ce lieu pour une merveille à préserver. Elle vit avec sa mère, son père étant décédé, et les deux femmes ne se supportent pas. La mère est obsédée par les économies ; traumatisée par une enfance pauvre, elle est malade à l’idée de dépenser le moindre sou. Aussi ne chauffe-t-elle pas la bâtisse, entre autres économies. Emily lui reproche d’avoir ôté au lieu sa magnificence et de l’élever dans une pauvreté indigne. Dans cette ambiance à couteaux tirés, l’arrivée de la grand-mère ne fait qu’exacerber les tensions.


Il m’a été quasi impossible de lâcher le livre une fois commencé ! Roman psychologique dotée d’une intrigue dynamique, il révèle l’acuité de Green aussi bien quant à sa perception de la nature humaine que dans sa capacité à la mettre en scène. L’auteur montre également ses talents dans l’organisation d’une intrigue, certes simple mais dont l’agencement des scènes est crucial pour créer une tension quasi sans répit.

Mont-Cinère met en scène des êtres misérables dans leur façon d’appréhender la vie ; leurs perspectives sont limitées à un seul aspect : la possession matérielle et les rapports de domination. C’est violent et fascinant !

Si la fin est un peu faible, voire expéditive, le reste vaut largement la découverte. C’est un roman que je recommande chaudement.

Voyageur malgré lui – Minh Tran Huy

 

Voyageur malgré lui – Minh Tran Huy

Voyageur malgré lui – Minh Tran Huy
Babel, 2023, 224 pages

En découvrant l’histoire d’Albert Dadas, un homme atteint de « tourisme pathologique », Line se remémore les « voyageurs malgré eux » de sa famille, une façon pudique d’évoquer l’exil, plus ou moins choisi, à la fois géographique, culturel et familial.

Si les cas hors de la famille de la narratrice ne m’ont pas semblé très utiles au récit (ils ont certes leur propre intérêt mais parasitent ici le propos), tout le reste m’a profondément touchée. Outre une construction agile qui dévoile des aspects au compte-gouttes, le ton et les relations entre personnages ont cette pudeur caractéristique des exilés de culture asiatique. Les destins individuels sont poignants, de même que l’amour filial des uns et des autres, cette volonté de protéger et de vouloir le meilleur pour les siens, quitte à se tromper peut-être. Par exemple, faut-il enterrer un passé douloureux et priver ses enfants de racines ? Faut-il revenir au pays natal ? Prendre parti, même si cela veut dire se couper de sa famille ? Comment être de bons parents ? Entre identité et transmission, d’une génération à l’autre, d’un individu à l’autre, les perceptions sont diverses.

« Le silence n’est pas l’effacement mais l’écrin du souvenir. »

Le récit met en exergue combien un premier exil en amène d’autres – celui persistant dans le pays « d’accueil » où même la personne la plus « intégrée » possible ne sera jamais tout à fait chez elle et toujours à la merci de gouvernements qui veulent « faire le ménage », trier les gens ; celui aussi relatif à son pays natal dans lequel on ne sera plus jamais « chez soi », toujours un peu en décalage.

Rester en mouvement, avancer un jour après l’autre, se raccrocher à un quotidien rassurant, oublier ou du moins essayer. Au fond, ces histoires sont très banales et pourtant si touchantes.

« Je sentais le soleil sur ma nuque, le parfum des kakis et l’odeur sucrée de la noix de coco et du sirop de canne sur les copeaux de glace… »

Un texte subtil et émouvant.

A voir, le documentaire Je ne suis pas un chinetoque - Histoire du racisme anti-asiatique.