Zero – Marc Elsberg
(Zero. Sie wissen, was du tust, 2014)
Piranha,
2016, 422 pages
Traduction de Pierre
Malherbet
Londres, de nos jours. Un adolescent est
abattu lors d’une course-poursuite. Ce drame conduit Cynthia Bonsant,
journaliste, à enquêter sur les agissements de Freemee, société high-tech
américaine spécialisée dans la collecte et l’analyse des données.
Comme dans Black-Out, son précédent roman, Marc Elsberg part d’une réalité contemporaine ;
il se contente de voir un peu au-delà, d’imaginer par exemple la généralisation
d’une pratique nouvelle, le dysfonctionnement d’un système émergent, les
conséquences que cela entraîne. Certes il décrit une situation cauchemardesque
mais c’est un cauchemar dans lequel nous sommes déjà ou presque et bien des
gens ne s’en émeuvent pas. Or c’est la proximité de la fiction avec le réel qui
rend ce roman particulièrement efficace et glaçant ; il est impossible de
se libérer du piège sauf à aller vivre dans les bois sans une once de
technologie.
Quantité de sujets sont soulevés par une
intrigue simple et efficace : protection des données et surveillance,
manipulation (quand débute-t-elle ?), compétition perpétuelle entre les
gens, etc. Refuser de participer au système est encore plus pénalisant puisqu’il
vaut mieux être mal noté que de ne pas avoir de note du tout, ne pas exister.
La collusion entre entreprises privées et Etats est également abordée :
quoique l’on fasse, nous sommes piégés. Le Big Brother d’Orwell fait pâle figure.
Quant à Zero, l'organisation qui appelle les gens à se révolter contre le contrôle exercé sur eux, elle fait penser à V, dans V pour vendetta.
Deux façons d’aborder la collecte des données sont présentées
à travers deux générations : Cynthia et sa fille. Pour la seconde, nous n’avons jamais eu de vie privée entre les caméras de
surveillance dans les lieux publics (et Londres est particulièrement concernée)
et Internet : autant ne pas être une victime et gérer soi-même ses données
en les vendant. Freemee fait croire à ses utilisateurs qu’ils ont intérêt à
utiliser leurs applications pour avoir une vie meilleure, être en forme, mieux
noté, etc. et donc à leur livrer volontairement leurs données personnelles.
Bien que le roman soit centré sur l’utilisation
des données par les entreprises privées, il est difficile de ne pas penser à l’Etat
d’urgence actuel en France ; quand un dirigeant de Freemee déclare : « Rappelons-leur
que leur confort et leur sécurité sont plus importants que la liberté et leur
indépendance. », cela rappelle les propos de certains politiques
français.
De même, quand je lis dans ce roman : « … la surveillance a des effets d’asservissement. »,
je retrouve les conclusions d’un rapport lu il y a quelques semaines à peine.
Ces quelques exemples pourraient être multipliés sans peine et contribuent
à la crédibilité du roman de Marc Elsberg.
Deux points m’ont un peu chagrinée : je
n’ai pas réussi à m’attacher aux personnages (Cynthia m’a paru peu crédible par
exemple et tous les autres sont des rôles secondaires) et les heureuses
coïncidences sont trop nombreuses pour ne pas être remarquées.
Zero n’en reste pas moins
un roman palpitant que l’on referme en étant encore plus angoissée de retourner
au réel.
Ce livre m’a été transmis par l’éditeur.