Le parapluie de Simon Leys – Pierre Boncenne

Le parapluie de Simon Leys Pierre Boncenne
Le parapluie de Simon Leys – Pierre Boncenne
Philippe Rey, 2015, 256 pages


Pierre Boncenne retrace ici, dans une sorte d’hommage, les lignes de force de l’œuvre de Pierre Ryckmans plus connu sous le pseudonyme de Simon Leys. Reprenant cette phrase de Mario Vargas Llosa, « La vie est un torrent de merde dans laquelle l’art est notre seul parapluie », et étendant la fonction protectrice à toute l’œuvre de l’écrivain et sinologue belge, Pierre Boncenne met en évidence la rigueur de la réflexion et l’honnêteté intellectuelle qui caractérisait Simon Leys.

Ce dernier crut un temps pouvoir se contenter de littérature et d’esthétique mais les horreurs de la « Révolution culturelle » l’obligèrent à sortir de sa réserve afin de témoigner de la réalité du régime. Car Simon Leys connaît très bien la Chine, contrairement aux visiteurs de quelques jours qui revenaient chez eux en ayant perdu tout sens commun. Les informations sur les méfaits de Mao étaient pourtant déjà disponibles pour qui se donnait la peine de s’y intéresser. Ce fut justement la méthode appliquée par Simon Leys : collecter des faits et les analyser avec rigueur et non aveuglé par une idéologie. On notera aussi, une ironie féroce et un mordant que son passage à Apostrophe en 1983 illustre fort bien (les reparties émaillant l’essai aussi ; on rit à plusieurs reprises).

« L’incapacité occidentale à comprendre la réalité soviétique et toutes ses variantes asiatiques n’était pas due à un manque d’information (celle-ci fut toujours abondante) : ce fut un manque d’imagination. » (S. Leys)


Boncenne montre bien que ce qui différenciait fondamentalement Simon Leys de bien d’autres commentateurs de la Chine de Mao, c’était un intérêt véritable pour ce pays et ses habitants (et aussi la maîtrise de la langue qui évite de se faire berner). Il respectait cette civilisation contrairement à tous ceux qui avançaient une différence culturelle avec l’Occident pour justifier le mépris des droits de l’homme. L’essai recréé l’ambiance de l’époque, les modes, le politiquement correct, tout ce que Leys bousculait par ses propos. Et ce qui marque, c’est combien des personnes, au demeurant plutôt bien outillées intellectuellement, devenaient parfaitement stupides dès qu’il s’agissait de juger la Chine maoïste. Or ce qui est vivifiant dans l’œuvre de Simon Leys, c’est cette pensée affranchie de tout carcan qui s’épanouit dans mille et une directions avec une liberté de ton qui fait souvent défaut à nombre de « commentateurs » soucieux soit de suivre les modes, soit de choquer volontairement.

L’essai prend de la hauteur par rapport à la politique en revenant aux sources de la pensée et de la culture chinoises : Confucius, l’esthétique, les raisons pour lesquelles la terre chinoise était adaptée à l’implantation du communisme, etc.


Pierre Boncenne résume bien le problème : «  l’une des pires perversions du xxe siècle restera liée à la confusion entretenue par certains entre les idéaux de la gauche et la sinistre utopie maoïste… »


Si l’essentiel de l’essai est consacré à la Chine, son auteur évoque aussi d’autres centres d’intérêts de Simon Leys que l’on trouve dans ses écrits, ainsi que ses univers, ses références. On y parle aussi de la différence entre sérieux et profond, de l’ignorance, et de bien d’autres sujets. En définitive, c’est aussi foisonnant qu’un essai de Simon Leys.
C’est une lecture exigeante, pour public motivé, mais c’est aussi une bouffée d’air, une hygiène de l’esprit.

> Si vous ne connaissez rien à Pierre Ryckmans / Simon Leys, ne croyait pas que ce livre n’est pas pour vous, bien au contraire ; il m’a semblé que c’était une excellente façon de s’initier à son univers, voire de tout découvrir quand parfois le propos me paraissait redondant avec mes connaissances préalables.



Ce livre m’a été transmis par l’éditeur.