V pour
Vendetta – Alan Moore et David
Lloyd
(V for Vendetta, 1988)
Panini Comics, 2009 (pour
l’intégrale), 296 pages
Traduction d’Alex Nikolavitch
Suite à une guerre nucléaire, l’Angleterre vit
sous un régime totalitaire instauré par le parti Norsefire. Les libertés
individuelles et la vie privée sont anéanties, la culture est morte avec l’esprit
et la Voix du Destin a remplacé celle du peuple. Surveillance à outrance afin d’apaiser
l’obsession sécuritaire du pouvoir et contrôle des media font des gens de
simples marionnettes qui ont renoncé à tout, à commencer par leur dignité. Seul
V ne se résigne pas, et il a bien l’intention d’offrir à ses concitoyens toutes
les chances de se reprendre en main, de surmonter leur peur et de suivre leurs propres ordres.
Lue (un tome après l’autre, l’intégrale n’existant
pas encore), vue au cinéma (quel gâchis !), relue dix ans plus tard : cette série laisse
des sentiments mêlés.
> Le
graphisme et en particulier les couleurs ne sont vraiment pas attirants.
Certes, étant donné le contexte de l’intrigue, il ne s’agit pas d’adopter un
style lisse et décoratif ; cependant, c’est un aspect important dans une
BD et cela peut créer une résistance à l’histoire, du moins jusqu’à un certain
point. Il faut vraiment être entré dans les méandres de cet univers pour que l’intérêt
que l’on porte aux événements prenne le pas sur ce qui est plus superficiel. Si
le dessin a un atout, c’est son aspect orienté vers l’action, dynamique ; David
Llyod possède une véritable capacité à donner vie à une intrigue.
> En dépit de maladresses, ce livre n’en est
pas moins très attractif dans le domaine
des idées. Tout repose dessus et le héros n’est là que pour les
incarner : « Les idées sont à
l’épreuve des balles » dixit V. Les auteurs font de V un anarchiste
alors que ce n’était pas à proprement parler le cas de Guy Fawkes mais ce
dernier inspira les deux auteurs de façon décisive comme le montrent les
annexes, ainsi que la lecture de la BD si on connaît un peu l’histoire de Guy
Fawkes (voir en fin d’article).
« [L’anarchie]
m’a appris que la justice n’est rien sans la liberté. »
D’une façon générale, c’est un livre qui fait réfléchir
et cela d’autant plus que les auteurs sont restés dans une ligne
malheureusement crédible. Certes il s’agit d’anticipation mais le lecteur
terre-à-terre n’aura pas de problème particulier à se projeter dans cet
univers. En outre, les régimes totalitaires ne sont pas de pures inventions et
tout ce qu’en reprennent les auteurs ne peut que résonner, comme le choix entre
la mort de ses principes et la mort de son corps.
En vérité, le livre n’est pas révolutionnaire mais
la mise en scène a un impact que peu de livres peuvent se targuer d’égaler et c'est vraisemblablement pour cela qu'on y revient.
> Alan Moore explique dans son introduction à la
première édition américaine combien les
années Thatcher le plombaient et,
alors que Maggie en était à son troisième mandat et que les libertés se
réduisaient comme peau de chagrin, Moore ne pouvait qu’imaginer un avenir
sombre pour son pays, au point qu’il se demandait s’il n’allait pas quitter ce
dernier. Tous les textes produits avant ou après la BD elle-même aident à
comprendre l’esprit qui conduisit à certains choix.
> On appréciera également l’humour noir. Certaines remarques valent leur pesant
d’or ; par exemple, quand V s’adressant
aux téléspectateurs demande, alors que des photos de dictateurs s’affichent
derrière lui : « Mais qui les a
élus ? ». Il poursuit,
ironique : « J’admets, tout le
monde a le droit à l’erreur mais persister dans la même erreur funeste, siècle
après siècle, sans discontinuer… C’est pas possible, vous le faites exprès ? »
> Néanmoins, deux points restent à mes yeux des
faiblesses : le manque d’imagination
en termes d’univers et les crises de logorrhée de V.
Le premier point est un mélange entre Orwell et le
nazisme et les auteurs ont repris trop de références au nazisme pour se
démarquer, comme par exemple les camps qui regroupaient peu ou prou les mêmes cibles
que celles des nazis, camps qui étaient dotés de fours et qui servirent à faire
des expérimentations.
Quant à la grandiloquence des discours de V, si l’on
peut en comprendre l’aspect théâtral, les longues déclamations, souvent une
succession de citations diverses, finissent par fatiguer. Le lecteur, tout
comme Evey, jeune fille recueillie par V au tout début du livre, a envie de
hurler : « Je déteste ça !
Ces conversations qui tournent aux mots croisés ! Si tu as quelque
chose à dire, dis-le ! » (et abrège…).
Bien qu’améliorable, cela reste une excellente BD
où les parts du graphisme et du texte sont bien équilibrées. C’est une histoire
qui a du panache grâce à son héros, symbole d’un appel au réveil des
consciences.