Un éternel Treblinka – Charles Patterson
Calmann-Lévy, 2008,
436 pages
(Eternal Treblinka, 2002)
Traduction de Dominique Letellier
Cet essai fouillé
et bourré de références est passionnant et son propos touche
des champs de réflexion insoupçonnés. Il est aussi difficile à évoquer
brièvement (le livre comporte lui-même des longueurs dans la
multiplication des exemples). Le billet qui suit n'évoque que de façon très
parcellaire et insuffisante la richesse de l'ouvrage.
Trois parties.
> Une
débâcle fondamentale évoque la prise de pouvoir des hommes sur
les animaux et ses conséquences. Tout commença avec l’asservissement
des animaux par les hommes, asservissement pudiquement nommé
« domestication ». D e ce
processus initié avec les animaux découle aussi bien le sexisme (cf
les sociétés patriarcales et l’assujettissement sexuel des femmes – chez les
animaux non-humains, ce sont d’ailleurs les femelles qui sont les plus
exploitées : chair, œufs, lait) et le racisme (cf la
colonisation et l’esclavage, pratique calquée sur le traitement réservé aux
animaux) puisque tout vient de l’idée que le mâle blanc est en haut d’une
pyramide et son pouvoir légitime ses actions quelles qu’elles soient (ce sera
un argument utilisé par Hitler). En outre, cette domination a exacerbé la
violence de l’homme, une violence tellement bien assimilée qu’elle est
considérée comme étant acceptable.
> Espèces
supérieures, race supérieure entre dans le vif du sujet en démontrant
les liens entre l’industrialisation de l’abattage, la maîtrise par
l’homme de la reproduction animale et le génocide Juif. Dans les
abattoirs, l’essentiel est que le personnel se focalise sur l’idée d’efficacité
afin de créer une distance entre ce qu’il fait et sa victime. C’est ainsi
qu’abattre un animal devient un acte banal, tout comme envoyer des gens à la
mort devient un travail comme les autres. On ne tue pas : on traite des
corps. Patterson souligne les nombreux points communs entre les abattoirs
et les camps de concentration et chambres à gaz, plus particulièrement la
rationalisation du processus et l’architecture très proche de l’abattoir et du
cheminement vers la chambre à gaz.
Il est
également question de la reproduction animale dans le sens « amélioration
du troupeau » ; cet aspect a lui aussi été transposé aux humains à
travers l’eugénisme.
> Echos
de la Shoah est une partie un peu fourre-tout mais elle vaut la peine
d’être lue au moins pour le chapitre dédié à Isaac Bashevis Singer,
prix Nobel de littérature en 1978. Un éternel Treblinka lui
est d’ailleurs dédié et le titre même du livre est tiré de sa nouvelle The
Letter Writer, dans laquelle le narrateur dit : « Pour ces
créatures tous les humains sont des nazis ; pour les animaux, c’est un
éternel Treblinka. »
Cette partie
est dédiée aux avocats de la cause animale. C'est aussi l'occasion d'évoquer le déni des carnistes quant au fonctionnement des abattoirs, des centres de recherche, etc. : « Comme
les bons bourgeois allemands, nous avons une idée assez précise de ce qui s’y
passe, mais nous ne voulons pas vraiment être confrontés à la réalité. »
(Alex Hershaft, fondateur du mouvement FARM).
L’auteur
évoque très brièvement Peter Singer et sa façon très
rationnelle d’argumenter en faveur des animaux non-humains. Singer est un
auteur qui dérange parfois/souvent mais, au moins, on ne peut pas le traiter de
sentimental, reproche habituellement fait aux défenseurs des droits des
animaux.
Un livre qui devrait intéresser toute personne se disant rationnelle et aimant comprendre les mécanismes sous-jacents de notre monde.
Note : le
terme végéta*ien est utilisé afin de désigner ensemble ou séparément selon les
cas les végétaRiens et les végétaLiens, cela exclusivement à des fins de
simplifications.