Au pays de Dieu – Douglas Kennedy

Au pays de dieu Douglas Kennedy
Au pays de Dieu  – Douglas Kennedy
 (In God’s Country: Travels in the Bible Belt, 1989)
Pocket, 2006 [réédition], 341 pages
Traduction de Bernard Cohen


« Sheila vendait des assurances-vie à Manhattan et elle aimait aussi « parler en langues ». […] »


Au cours de l’été 1988, Douglas Kennedy a entrepris de voyager dans la Ceinture de la Bible, qui couvre grosso modo le sud des Etats-Unis en partant de la côté Est et en allant jusqu’au Texas inclus. Bien que l’auteur ait cherché à comprendre le phénomène des néo-chrétiens, il s’agit avant tout d’un récit de voyage, un voyage un peu particulier, certes, mais trop en surface pour parler d’étude.

1988, cela peut paraître dépassé, mais comme l’indique l’auteur dans la préface de la nouvelle édition, depuis la parution de son récit, le phénomène s’est démultiplié. Il précise même qu’entretemps, « la droite chrétienne est devenue une force spécifique et hautement influente sur la scène politique du pays. » Malheureusement, il ne reviendra quasiment pas sur cet aspect au cours de son récit alors qu’il ne lui aurait pas été plus difficile de rencontrer des hommes politiques que des prédicateurs comme il l'a fait pour ces derniers. Or, pour une Française, entendre des politiciens parler de Dieu ou de religion en général est tellement incongru que la question culturelle méritait à tout le moins une mise en lumière, si ce n'est une tentative d'explication.


Le livre est loin d’être inintéressant et se lit facilement mais une fois que l’on a compris ce qui caractérise ces mouvements, on reste un peu sur sa faim (le fait que ce ne soit pas nouveau y est peut-être pour quelque chose. Ce qui était une « découverte » en 1988 a déjà été largement discuté depuis).
Outre une « étude » des relations religion / politique, il aurait été intéressant que Kennedy s'attarde plus longuement aux profils des personnes qui adhèrent au fondamentalisme religieux. Non que l’auteur fasse l’impasse sur cette question, mais on n’arrive pas pour autant à discerner ce qui fait qu’Untel a plongé et pas un autre. Or c’est un point que l’auteur se proposait d’éclaircir en entamant son voyage. En effet, contrairement à ce que l’on pourrait penser a priori, les fondamentalistes ne sont pas uniquement représentés par des péquenauds sudistes mais aussi par des personnes ayant l’air parfaitement intégrées à la société.

En définitive, ce qui vaut la peine d’ouvrir le livre, tient dans la description du fonctionnement de ce business (car, évidemment, c’est un business) qui permet de se faire une idée assez précise des ressorts du fondamentalisme. Cela nécessite de recontextualiser son apparition et son développement mais, étrangement, l’auteur le fait dès le début de son récit alors que, logiquement, il aurait dû présenter cela comme une conclusion ou sous forme de points en cours de route. C’est un autre aspect gênant : le côté brouillon sous l’excuse qu’il s’agit d’un récit de voyage comprenant des imprévus. Cette façon de raconter rend le récit vivant mais on y perd en consistance.

Il n’en reste pas moins que son « analyse », à défaut d'être originale, est bien vue : le regain de religiosité est lié à l’instabilité du monde dans lequel on vit (et les attentats du 11 septembre 2001 n’ont pas amélioré les choses), instabilité qui génère de l’angoisse. Or les fondamentalistes ne vous offrent pas seulement le recours à Dieu comme les croyants modérés, ils vous expliquent que vous n’avez qu’à confier votre vie à Dieu qui va s’occuper de tout.
Les anecdotes et propos rapportés font hésiter le lecteur entre rires et frissons d'horreur car ces gens-là ont du pouvoir (financier, médiatique, etc.) et on peut s'inquiéter de la façon dont ils pèsent sur la société.


Les rappels généraux sur la mentalité et la culture américaines sont également bienvenus ; ils expliquent certains comportements (par exemple, un télévangéliste exploite « des penchants aussi discutables que la sentimentalité facile et la tendance américaine à la surconsommation. Il [table], avec succès, sur le mauvais goût du public. »). Le fait que Kennedy soit d’origine américaine mais qu’il vive en Europe depuis plusieurs décennies (c’était déjà le cas au moment de son voyage) est appréciable car il peut apporter un éclairage pertinent au regard de sa double expérience.


Si ce livre n'est pas incontournable, il a le mérite d'être un bon compromis entre une étude « sèche » et un simple récit de voyage sur un sujet d’actualité.


« Il était temps d’attraper un avion et de regagner un monde plus ancien. »