Darkness Visible: A Memoir of Madness – William Styron

Darkness Visible Memoir of Madness Face aux ténèbres William Styron
Darkness Visible: A Memoir of Madness – William Styron
(1990)
(Face aux ténèbres : Chronique d’une folie, 1990)
Folio bilingue, 2000, 222 pages
Traduction de Maurice Rambaud, révisée, préfacée et annotée par Yann Yvinec


‘In Paris on a chilly evening late in October of 1985 I first became fully aware that the struggle with the disorder in my mind – a struggle which had engaged me for several months – might have a fatal outcome.’


William Styron raconte ici non seulement la dépression dont il a été victime mais il livre aussi une analyse de la maladie en général et revient également sur les suicides de personnes connues qui étaient vraisemblablement dépressives. C’est ainsi qu’au-delà du témoignage, le lecteur se voit offrir une réflexion nourrie où s’effectue des allers et retours entre l’expérience intime et la prise de recul.

Le point fort de ce livre, outre sa double perspective, est de mettre les points sur les « i » : la dépression est une maladie et non une mauvaise passe.

> Ce qui dérange dans la dépression, c’est qu’elle est difficile à cerner, que ceux qui sont supposés la traiter ne la maîtrisent pas totalement, que ses symptômes ne sont pas aussi visibles que ceux d’autres maladies et donc que son diagnostic et a fortiori son traitement relèvent encore de l’expérimentation. La dépression reste un grand mystère. Les psychiatres ne sont pas épargnés ; Styron apporte également une vision intéressante de ce que peut représenter l’hospitalisation.
> Il faut aussi compter sur le regard des autres ; en effet, Styron relève que de par ses caractéristiques et la mauvaises connaissance que la majorité des gens ont de la dépression, cette maladie n’est pas prise au sérieux. Ses victimes sont isolées car incomprises et comme le dépressif s’isole par lui-même, le fossé ne fait que se creuser sauf à avoir un proche qui vous soutienne et vous maintienne autant que possible la tête hors de l’eau comme le fera son épouse, même si intérieurement, on est toujours seul. Il faut avoir vécu la dépression pour la comprendre conclut l’auteur ; toute la compassion du monde ne peut faire toucher du doigt à la personne saine l’enfer dans lequel est plongé le malade car rien de comparable n’existe.
> Styron décrit son mal de façon clinique mais aussi très imagée et cela tout en reconnaissant que l’horreur de la dépression est inexprimable. L’auteur ne craint pas de parler de la souffrance intense, qui plus est sans espoir de rémission, dont souffre le dépressif (‘It is hopelessness even more than pain that crushed the soul.’).


Styron évoque l’œuvre de Camus marquée par l’idée de suicide (et il émet une hypothèse fort intéressante quant à la mort de Camus) et sous-tendue par un état dépressif dont il n’eut pas conscience avant de commencer à être lui-même atteint ; il parle de son innocence.
Il rend compte de ses rencontres et discussions avec Romain Gary ; Styron ne comprit que progressivement combien l’écrivain français s’étiolait peu à peu, rongé par la dépression, ce que lui confirma Gary (idem pour Jean Seberg dont Gary avait alors divorcé). Mais il reconnaît qu’il ne prêta guère attention aux propos de Gary et qu’il resta relativement indifférent aux symptômes décrits. Bien sûr, il éprouvait de la compassion pour ses amis mais cela restait très abstrait dans son esprit ; il ne pouvait comprendre la profondeur du mal, ne comprenant pas la nature même de ce mal.


La dépression conduit une partie de ceux qui en souffrent au suicide. Or les gens n’acceptent toujours pas le suicide. Celui qui passe à l’acte est faible ; il est marqué par la honte. Styron évoque notamment le cas de Primo Levi : d’admiré, il devint, du moins à l’époque de sa mort, quelqu’un de décevant, de faible. Comme le souligne Styron, on ne blâme pas la victime d’un cancer incurable quand le dépressif qui ne bénéficie pas du suivi adéquat au point de se suicider est méprisé. Deux poids ; deux mesures. La dépression et le suicide : des sujets toujours aussi tabous (le texte date certes d’il y a vingt ans mais je n’ai pas le sentiment que les esprits aient beaucoup changé depuis).

Bien que souvent virulent, Styron reste humble et n’hésite pas à exposer ses lacunes qu’elles soient personnelles ou liées à un manque de connaissance générale sur le sujet. Pourquoi certains s’en sortent et pas d’autres ? Il souligne aussi régulièrement que toutes les dépressions ne sont pas caractérisées par des symptômes identiques, hormis les plus courants, et il ne fait pas de celle dont il a souffert un modèle.

Enfin, l’auteur revoit sa production littéraire antérieure à sa maladie et y décerne les germes du désastre dans les nombreux personnages se suicidant ou ayant des idées morbides.



Ce livre bouleversant devrait être lu par tous, (anciens) dépressifs, proches d’un dépressif, personnes n’ayant pas (encore) été touchées. Il aiderait sans nul doute à une meilleure compréhension des uns et des autres, à plus d’humanité ; on ressort de cette lecture ébranlé.