Martin Eden – Jack London
(Martin Eden, 1909)
(première publication en français : 1926)
Phébus, 2010, 439
pages
Traduction de Francis
Kerline
(existe en poche chez
10/18)
Ce roman qui raconte l’histoire
d’un marin se découvrant une vocation d’écrivain est considéré comme étant à
connotation autobiographique. Suite à sa rencontre avec des bourgeois et sa
fascination pour la fille de la famille, Martin Eden va s’ouvrir à la
littérature. Dans sa volonté de la séduire, il va chercher à acquérir sa
culture, ses manières, de se débarrasser de son côté fruste.
Jack London évoque dans cette histoire d’une grande richesse aussi bien la transformation à laquelle s’astreint son (anti) héros que des
questions politiques et sociales (la littérature entre dans ces domaines) et
cela sous tellement d’angles que l’ensemble est particulièrement abouti. Il va
jusqu’au bout de tous les raisonnements qu’il ouvre et ne laisse rien au hasard
tout en permettant au lecteur d’avoir un espace à soi ; d’ailleurs,
contrairement à ce que l’on pourrait penser au premier abord, la fin ne clôt
pas la réflexion, bien au contraire.
Remarquable de maîtrise, aussi bien sur
le fond que sur la forme, ce livre est fascinant et d’une franchise peu commune.
Martin Eden est un personnage complexe, attachant, et dont l’évolution ne peut
laisser indifférent. Tout d’abord dans le rôle de l’ignorant, de l’apprenti, il
finit par dépasser ses « maîtres » en faisant preuve d’une lucidité
que le carcan de l’académisme ne permet pas à la gourde dont il est tombé
amoureux d’atteindre. Plus Martin lit, plus il est écrasé par ce qu’il
découvre ; c’est l’éternel problème des gens lucides : ils ont une
longueur d’avance sur les autres mais au lieu d’en profiter, ils en font les
frais, en souffrent.
C’est un roman bouleversant tant Martin, en dépit des difficultés
incroyables qui se dressent devant lui, ne veut pas céder afin d’aller jusqu’au
bout de son rêve quitte à s’y perdre. Il dégage une énergie qui se transmet au lecteur
galvanisé par l’exemple de Martin. On se sent peu de choses face à cet homme
qui, en définitive, se propose de devenir un autre, de changer du tout au tout.
S’il le fait pour attirer l’attention de la femme qu’il croit aimer, on peut
imaginer qu’en vérité il finit par comprendre que c’est un autre moi qu’il se
propose d’explorer et d’être enfin. Car Martin est marin par défaut en quelque
sorte ; il l’est devenu en partie parce que ses origines sociales ne lui
ouvraient pas d’autres possibilités qu’un métier manuel et physique. Une fois
qu’il fait travailler son esprit, qu’il développe sa réflexion, plus que de
devenir un autre homme, il ne fait que révéler celui qui était déjà là mais qui
n’avait pas pu s’exprimer jusqu’alors par manque de moyens pour le faire.
Les personnes qui ont le courage
de vivre leurs rêves, quel qu’en soit le prix à payer, sont vraisemblablement
les seules que j’admire. Merci Monsieur London pour ce récit précieux qui tient
une place à part dans mon cœur et qui m’a tant apporté.