Rencontres avec Samuel Beckett – Charles Juliet
P.O.L, 1999, 80 pages
De 1968 à 1977, Charles Juliet a eu l’occasion de rencontrer Samuel Beckett à quatre reprises. Juliet avait déjà entamé sa quête mais, comparativement à Beckett, écrivain déjà reconnu qui obtiendra le Nobel en 1969, il était dans le rôle de « l’admirateur ». Dans le premier entretien il indique à Beckett combien son œuvre lui a beaucoup apporté et, au fil des rencontres, il souligne tel ou tel point particulier. On finit par saisir que mieux on comprend Beckett, mieux on comprend Juliet.
Ils parlent peu (très peu en ce qui concerne Beckett) mais chaque parole est pesée, pensée et fait sens. On devine l’atmosphère dense, un Beckett à la fois disponible pour son interlocuteur et totalement absorbé par les rares propos échangés. A une question posée, il peut consacrer des minutes de réflexion qui paraissent une éternité au point que Juliet se demande parfois si Beckett l’a oublié quand ce dernier cherche la réponse la plus juste. Cette capacité de concentration, d’immersion en soi, est peut-être ce qui fait que les manuscrits de ses textes ne comportent pas de retouches (Beckett dit : « Ça s’organis[e] entre la main et la page »).
Nous en apprenons quand même un peu, si ce n’est beaucoup pour qui sait apprécier et digérer les informations que livre Beckett : son regard sur son œuvre (rien de valable au-delà de 1950) et sur ses ambitions (tout comme Juliet, il procède pas à pas, en creusant en lui), son opinion sur les jugements qui conduisent à des catégories (comme de classer ses œuvres dans le théâtre de l’absurde), sur la « démence universitaire », sur les traductions de ses œuvres qu’il préfère faire lui-même pour gagner du temps (ou du moins ne pas en perdre à tout reprendre), etc.
Mais au-delà de ces échanges sur l’écriture, la vie et ce que l’on pourrait appeler des questions philosophiques même si cela fait un peu pompeux, Juliet nous offre un portrait de Beckett à travers ses descriptions et remarques. Samuel Beckett laisse transparaître, et sa simplicité, et son intérêt pour les autres ; c’est ce que j’aime chez cet homme. Il ne se disperse pas mais sa générosité et ses amitiés sont indiscutables. Pour preuve, dans cet ouvrage, ses questions sur Bram Van Velde dont la vie fut si difficile (voir les Rencontres avec Bram Van Velde).
Ces rencontres nous apportent beaucoup aussi bien sur un plan littéraire qu’humain. Ce livre rayonne de paroles vraies, lumineuses, qui témoignent que la littérature n’est pas encore perdue et qui redonnent foi en l’humanité.
Ce livre donne le sentiment d’observer deux hommes que j’admire pour leur humilité, leur simplicité, leur volonté d’être dans le vrai et qui ont réussi leur vie, non pas comme on l’entend généralement mais dans le sens le plus véritable.