(Ensaio sobre a lucidez, 2004)
Seuil, 2006, 360 pages
Traduction de Geneviève Leibrich
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« Quel temps de chien pour aller voter, ... »
Les livres de Saramago s’entremêlent, se répondent, donnent à réfléchir. C’est ainsi que La lucidité est le miroir de L’Aveuglement, roman appartenant lui-même à une trilogie thématique incluant Tous les noms et La caverne.
L’Aveuglement s’appelle, littéralement, Essai sur la cécité, tandis que La lucidité se nomme Essai sur la lucidité : ce n'est pas un manque d'imagination de la part de Saramago.
Lire L’Aveuglement avant La lucidité est préférable puisque l’on retrouve dans le second livre des personnages-clefs du premier.
« Le vote blanc est une manifestation d’aveuglement… Ou de lucidité … »
Cette histoire repose sur l’idée que 83% de la population d’une ville a voté blanc (à des municipales). Si le scénario semble exagéré, il n’est pas totalement irréaliste et permet à l’auteur de pointer du doigt les dysfonctionnements de ce que l’on appelle la démocratie.
En effet, pour Saramago, la démocratie est une farce et le vote blanc, une façon de dire aux dirigeants le rejet que l’on éprouve envers leur politique, mais aussi envers le fonctionnement du système en général, ses institutions et, finalement, de questionner la légitimité de ces personnes qui, bien qu’élues, semblent l’être par défaut plus que par mérite.
Dans Tous les noms, le Nobel avait déjà montré comment l’administration, machine à broyer l’être humain, était implacable. Cette fois, il fait un pied de nez aux gouvernements. En effet, Saramago laisse flotter l'idée que les individus se porteraient tout aussi bien, si ce n'est mieux, sans Etat. Evidemment, ce résultat électoral va effrayer le gouvernement qui ne peut qu'imaginer l'existence d'un complot et brandit le spectre de l’anarchie afin de justifier son existence et la nécessité pour le peuple d’obéir, au nom du « bon sens ». Comment de simples hommes et femmes pourraient-ils se débrouiller sans la lumière et l’encadrement des institutions de l’Etat ?
« … il n’y a pas de raison de s’inquiéter, regarde ces rues, vois comme la ville est tranquille, paisible, C’est justement ça qui m’inquiète, monsieur le commissaire, une ville comme celle-ci, sans chefs, sans gouvernement, sans surveillance, sans police, personne ne semble s’en soucier, il y a là quelque chose de très mystérieux que je ne réussis pas à comprendre. »
Nous découvrons ainsi un Saramago moins moqueur que d’habitude mais certainement plus frondeur que dans d’autres romans et qui ne cache pas son dégoût pour les gouvernants et toute forme de pouvoir : « Il faut donner du temps au temps, permettre au fruit de mûrir et aux esprits de pourrir. »
La thèse qui parcourt ce roman est celle selon laquelle l’Etat tue les libertés individuelles afin d’asseoir sa toute-puissance et qui, en tant que démocratie, doit agir avec subtilité. C’est ainsi que ce livre oscille entre un souffle d’espoir sur un plan humaniste et une dénonciation impitoyable du système contre l’individu. Saramago nous interroge : que valent les démocraties dans lesquelles nous vivons ?
« ... j’ai horreur d’entendre les chiens hurler. »