Féroces – Robert Goolrick

Féroces - Robert Goolrick
Féroces - Robert Goolrick
(The End of the World as We Know It: Scenes from a Life, 2007)
 Editions Anne Carrière, 2010, 254 pages
Traduction de Marie de Prémonville
(existe en livre de poche)


« Mon père est mort parce qu’il buvait trop. »


Dans ce livre autobiographique qui se lit comme un roman (et j'insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un roman ; je n'en peux plus de lire une telle ânerie sur les blogs ou dans la presse), Robert Goolrick cherche à comprendre ce qui lui est arrivé. En effet, comme il le raconte sur son site web, ce livre est né de sa volonté de répondre à la question : Que m’est-il arrivé ? 
Il tente alors de reconstituer les étapes clefs de sa vie, revenant sans cesse à ses parents, êtres obsédés par l’idée de donner à l'extérieur une image idéale et qui réussiront à ruiner leurs vies et celle de leurs proches.

« ...à quel personnage de la littérature ressemblez-vous le plus ?' … est venu le tour de ma mère. « Je suis Lady Brett Ashley, déclara-t-elle.[...] Je crois à la manière dont elle a vécu. On ruine sa propre vie puis, très délicatement, on ruine la vie de ceux qui nous entourent.' … »


Cette quête se traduit par un récit non chronologique mais analytique mettant en lumière des événements anodins au premier abord. Ainsi, l’auteur approfondit chaque fois un peu plus les raisons de son lent processus de destruction. D’une certaine façon, ce livre illustre la célèbre phrase de Fitzgerald selon lequel, « toute vie est bien entendu un processus de démolition ». Mais cet enfer a ses causes (« Je raconte cette histoire parce que je ne veux pas que l’on pense que j’ai foutu ma vie en l’air, consciencieusement, simplement parce que j’étais de mauvaise humeur. ») et, plus le livre avance, plus Goolrick creuse profondément et revient toujours plus loin en arrière.


Goolrick a passé sa vie à suivre l’exemple de ses parents en offrant une façade lisse, en donnant l’impression d’être une personne charmante et sans problème particulier, mais, intérieurement, nous dit-il « I felt completely dead » et nous le sentons très bien dans le livre. C’est cela qui rend cette histoire si glaçante et effrayante, plus que le chapitre dédié aux tentatives de suicide (dont une est tout simplement drôle, il faut bien l'avouer. Le récit tire d’ailleurs une partie de son charme dans l’humour noir et grinçant de l’auteur).


Nous passons d’une scène de la vie en Virginie dans les années 50 à la réalité crue, cette réalité que les Goolrick cherchent à tout prix à cacher, quitte, pour les parents, à s’avérer d’une cruauté inimaginable envers quiconque pourrait mettre à mal cette façade.

« Il était arrivé quelque chose à sa belle robe, un défaut minuscule et visible était apparu dans la perfection du tout, et ce n’était pas tolérable, cette source de mécontentement visible. »

« Elle avait fait un trou de cigarette dans sa robe et, pour la première fois, nous avions aperçu la réalité derrière le voile de la perfection. »


Le regard de Goolrick est la clef de ces mémoires ; il donne le ton, alternant des descriptions doucereuses qui se concluent par une phrase cinglante, ironique et les descriptions cliniques de processus nécessitant une prise de recul. Lire ce livre, c’est devenir en quelque sorte le psychiatre de Goolrick et donc s’apprêter à entendre/lire des choses pas vraiment réjouissantes (et il faut, par moment, avoir le cœur bien accroché) sans pour autant s’impliquer, juger.

Je ne suis pas amatrice d’histoires sordides et pourtant j’ai été totalement séduite par ce qui s’avère être l’étude à la fois d’un être particulier, d’une famille et d’une société. D’ailleurs, Goolrick ne donne pas le sentiment de vouloir verser dans le sordide ; au contraire, les passages les plus durs sont décrits avec distance et l’auteur cherchera jusqu’au bout à voir la lumière dans les ténèbres.

« Même au cœur de la nuit terrifiante, la vie tend vers la grâce et jamais cette grâce ne nous abandonne.»


Si cette histoire est fascinante, ce n'est pas parce qu'elle fait remonter la boue à la surface pour le plaisir des voyeurs, mais parce qu'elle nous dévoile le portrait d'un être humain ravagé par sa propre famille.
C'est l'histoire d'un homme qui veut comprendre ce qui lui est arrivé entre cocktails, mensonges et lames de rasoir.
Un livre inoubliable.


« Je … raconte [cette histoire] car je tente de croire, car je crois de tout mon cœur, que toujours demeure l’écho obstiné d’une chanson. »