Le monde d'hier - Stefan Zweig
(Die Welt von Gestern, 1944)
Livre de poche, 1996, 512 pages
Traduction de Serge Niémetz
Sous-titre : Souvenirs d'un européen
Ce livre, présenté comme une
autobiographie de l’écrivain, n’en est pas vraiment une. Il s’agit plutôt des
souvenirs d’un homme profondément marqué par une période chaotique de
l’Histoire du monde et plus particulièrement de l'Europe. En effet, non seulement il y évoque assez peu sa vie et
essentiellement à travers des rencontres et des événements historiques, mais en
plus il nous présente cette période historique de façon tout à fait
personnelle, subjective et sans avoir le moindre recul, tout cela allant à
l’encontre de la méthode de l’historien. Son appartenance sociale biaise
également son regard.
Il ne faut donc pas aborder le
livre de façon trop précise, avec des attentes particulières, mais se laisser
porter par la plume de Zweig et ses talents narratifs. Cet écrivain est, comme
tous les grands artistes, hypersensible et c’est aussi cela qui contribue à
rendre cet ouvrage très attachant. Il ressent tout de façon extrême et a
tendance à s’oublier quand il s’enthousiasme ou se désespère et j’ai adoré
ça ! J’ai beaucoup aimé sa vulnérabilité, sa capacité à se dévoiler sans
impudeur, ses contradictions comme nous en portons tous. Même sa
naïveté profonde est touchante et son honnêteté intellectuelle vaut la pleine
d’être signalée
L’ouvrage est également
intéressant à deux titres.
Tout d’abord,
il se déroule sur une période de l’Histoire très riche qui a vu une mutation
profonde de l’Europe et nous livre un témoignage « à chaud » (Vienne et l'Europe avant 1914). Certes,
tout l’apport du travail de l’historien en est absent mais, en contrepartie, le
lecteur bénéficie d’un regard de contemporain sur une époque, ce qui a aussi son
intérêt.
Ensuite, il s’avère que Zweig a fréquenté nombre personnages passés à
la postérité et que la présentation qu’il en fait donne souvent envie de mieux les
connaître. Il nous présente aussi bien les êtres eux-mêmes que leurs œuvres. En
vérité, Zweig parle bien plus des autres que de lui-même et c’est au lecteur de
se faire une idée de l’homme qu’il était en le lisant.
Le plus douloureux est de
l’observer déprimer lors des guerres. On devine combien celui qui avait des
amis dans plusieurs pays européens souffre que leurs patries s’entre-déchirent.
On comprend, comment un tel être, sensible et profondément idéaliste, ayant
vécu de tels événements a pu finir par se suicider. Sa croyance en l’humanité a
été tant piétinée que tout espoir n’avait plus lieu d’être.
Ce témoignage superbe est incontournable.