Le rivage des Syrtes – Julien Gracq


Le rivage des Syrtes – Julien Gracq
Le rivage des Syrtes – Julien Gracq
José Corti, 1951, 321 pages


"J'appartiens à l'une des plus vieilles familles d'Orsenna."

À la suite d'un chagrin d'amour, Aldo se fait affecter par le gouvernement de la principauté d'Orsenna dans une forteresse sur le front des Syrtes. Il est là pour observer l'ennemi de toujours, replié sur le rivage d'en face, le Farghestan. Mais la guerre entre Orsenna et le Farghestan est au point mort depuis fort longtemps ; c'est plus un récit des temps légendaires qu'une réalité brûlante. Être affecté aux Syrtes est supposé être une sinécure.

Difficile de parler de ce livre dont la musique m’a conquise dès les premières pages. L’univers dans lequel nous convie Gracq attire comme un aimant ; les phrases à rallonge et chargées d’adjectifs dépeignent un monde dont la décrépitude fascine irrésistiblement. Je serais restée plongée des heures à découvrir les Syrtes au côté d’Aldo, à errer dans les lieux figés dans le temps. Cette ambiance surannée s’insinue dans le lecteur au point de devenir par moment plus vivante que le monde réel. 

" j'exaltais cette vie retombée de ma patience ; je me sentais de la race de ces veilleurs chez qui l'attente interminablement déçue alimente à ses sources puissantes la certitude de l'événement."

C'est un roman contemplatif - on pourrait dire que c'est son ADN tant l'intrigue repose sur l'immobilité qui a si longtemps caractérisée le gouvernement d'Orsenna. Le talent de Gracq pour dépeindre une atmosphère, une lumière, toutes choses imperceptibles est immense. On roule sur du velours : un confort de lecture inestimable !

L’histoire, quant à elle, est toute en subtilité et dévoile ses plans très lentement. Les recoins de l’âme sont si différents d’un être à l’autre. Pour certains ne rien faire est l’idéal, pour d’autres l’ennui finit par donner des fantasmes d’actions. C’est toute la différence entre Marino et Aldo. Et la présentation que fait Gracq du rôle d’Aldo, de sa fonction de « moteur du destin » est très bien pensée. Mais la fin nous révèle de nouveaux aspects qui donnent un éclairage supplémentaire sur les ressorts secrets de chacun. Un grand livre !



"... je savais pour quoi désormais le décor était planté."


Prix Goncourt (refusé)