Mon amie de plume – Yiyun Li

 

Mon amie de plume – Yiyun Li

Mon amie de plume – Yiyun Li
(The Book of Goose, 2022)
Belfond, 2025, 336 pages
Traduction de Clément Baude



 

Fabienne est morte. Cette nouvelle, Agnès l’apprend en Amérique, bien loin de la campagne française où toutes deux ont grandi et sont devenues inséparables.

Agnès et Fabienne étaient les meilleures amies du monde, deux fillettes qui s’étaient créé une bulle pleine d’imagination, d’histoires, de rêves, pour mieux échapper à la rudesse de la vie dans la France d’après-guerre. Deux fillettes qui voulaient vivre autrement, mieux ; deux fillettes qui avaient un plan.

 

Mon amie de plume est un livre à la fois étonnant, étrange et déconcertant, d’une subtilité et d’une force incroyable, à la fois doux et rugueux, tendre et brutal : inoubliable.

On se laisse avoir parce que la narratrice est transparente et l’écriture peu remarquable, mais les courants souterrains sont puissants et cela se perçoit dès le début.

La dynamique du roman est assez simple en apparence : il y a celle qui pense, et celle qui exécute, celle dans l’ombre et celle dans la lumière.

« … l’une recherchait tout ce dont l’autre pouvait faire l’expérience. »

Agnès incarne l’innocence, la naïveté ; elle donne l’illusion d’être objective, tant tout semble lui échapper. Fabienne est plus insaisissable, à la fois « tête pensante » et campagnarde ignare ; elle envoie Agnès en représentation et ne s’intéresse guère à ce qui lui arrive : pour elle, l’essentiel n’est pas là.

 « Fabienne n’avait pas les mots pour décrire sa jubilation et son désespoir, et je n’avais pas les moyens de les comprendre, … »

 

La fin donne des frissons par sa finesse et sa force. Si vous n’avez jamais lu Yiyun Li, ce roman peu commun est l’occasion de franchir le pas.

Snakehead – Patrick Radden Keefe

 

Snakehead – Patrick Radden Keefe

Snakehead – Patrick Radden Keefe
(The Snakehead: An Epic Tale of the Chinatown Underworld and the American Dream, 2009)
Belfond, 2025, 384 pages
Traduction de Chloé Royer

 

 Sous-titre : Une femme à la tête d’un empire du crime

Dans le même esprit que le recueil d’enquêtes paru l’an dernier (en France), Snakehead s’intéresse à l'immigration clandestine entre la Chine (et plus particulièrement la région du Fujian) et les Etats-Unis, à travers un personnage « mythique », Sister Ping.

Le récit est passionnant ! Il se lit comme un roman, facilement et avec un certain suspense. Cela tient à ce que le journaliste se concentre sur les protagonistes. S’il retrace l’histoire et le fonctionnement de ces organisations de passeurs, Radden Keefe personnalise beaucoup le propos en s’appuyant sur des figures particulières de ce trafic.

Mais l’auteur prend aussi du recul pour retracer l’histoire de l’immigration chinoise aux Etats-Unis, et des diverses politiques américaines au fil du temps, les raisons pour lesquelles les Chinois du Fujian ont été particulièrement nombreux à émigrer aux Etats-Unis, etc. Il creuse aussi l’aspect culturel de cette communauté, entre le Fujian et le Chinatown de New York en particulier, le fonctionnement de la « mafia chinoise », ses particularités.

Si l’épilogue est plus déceptif, l’auteur se perdant un peu dans une pseudo-analyse étriquée de l’immigration, le reste est vraiment prenant et instructif : une lecture à recommander !

Une fratrie – Brigitte Reimann

 

Une fratrie – Brigitte Reimann

Une fratrie – Brigitte Reimann
(Die Geschwister, 1963-2023)
Éditions Métailié, 2025, 192 pages
Traduction de Françoise Toraille

 

Nous sommes en 1961, en RDA. Elisabeth, la narratrice, est artiste peintre et travaille pour l’État dans les usines pour amener les ouvriers à s’emparer de l’art. Konrad, son grand frère, s’est échappé en RFA, une fuite qu’Elisabeth condamne. Uli, son « petit » frère, envisage, lui aussi, de partir : Elisabeth ne peut l’admettre : non seulement c’est son préféré, mais en plus elle est fermement convaincue par l’idéologie de son gouvernement. Elle essaie donc de convaincre Uli de renoncer à son projet.

M’intéressant depuis longtemps aux différentes expériences du communisme, je ne pouvais passer à côté de ce livre. Or le personnage d’Elisabeth – visiblement un double de l’autrice en peintre – m’est sortie par les yeux. Elle est persuadée d’avoir raison, qu’il faut rendre à l’État l’investissement qu’il a placé dans la formation des individus ; elle est austère et sa personnalité imprègne tout le livre : c’est assez déprimant par moment. Par ailleurs, j’ai été assez gênée par la relation qu’elle entretient avec Uli.

Si la lecture de ce roman a été une épreuve, c’était finalement une expérience utile. En effet, je crois que lire consiste à se confronter à des vies et des opinions différentes des nôtres et, même s’il est toujours plus agréable de croiser des personnages aimables et des idées que l’on agréé, des livres comme Une fratrie sont l’occasion de grandir, d’accepter que d’autres aient des opinions dérangeantes car diamétralement opposées aux nôtres.

Pour autant, ce livre me semble très « germano-allemand », parce que l’approche et les thèmes sont spécifiques et inscrits dans un contexte politique précis. En tant que Française, qui plus est d’une autre époque, j’ai vraiment eu du mal à saisir des subtilités que la postface éclaire.