Les saisons de la vie – Nadine Gordimer

Les saisons de la vie Nadine Gordimer
Les saisons de la vie – Nadine Gordimer
(Life Times : Stories 1952-2007, 2010)
 Grasset, 2014, 608 pages
Anthologie de nouvelles (1952-2007)
Traductions de :
P. Boyer, J. Damour, J. Guiloineau, G. Lory, G. Rolin,
A. Roubichou-Stretz, F. Teisseire et C. Wauthier


Dans ces trente-huit nouvelles, Nadine Gordimer évoque majoritairement l’Afrique du Sud sous toutes ses coutures. Bien souvent politiques, ces histoires ont une dimension plus ample que cette seule qualification. Car il y est question d’hommes et de femmes pris au piège d’un système politique même quand ils n’en ont pas le sentiment car ils n’en souffrent pas directement. Les comportements doivent s’adapter ; il est difficile d’être soi-même et surtout de connaître véritablement l’autre.
Toutefois de nombreux textes pourraient quasiment se dérouler dans n’importe quel pays si ce n’étaient les descriptions des paysages typiques du lieu. Encore une fois, Gordimer nous parle autant des gens en tant qu’êtres humains lambda, que d’un pays particulier. Les histoires d’amour ne sont pas toujours entravées par un problème racial par exemple et les problèmes familiaux sont universels (Le fossé des générations).


La subtilité de l’auteur est bien présente dans sa façon de ne pas entrer dans des détails ; elle n’en dit jamais trop, laisse le lecteur comprendre, deviner. A ce titre, une certaine connaissance préalable de l’Histoire de l’Afrique du Sud n’est pas du luxe bien que cette connaissance puisse être relativement floue dans la plupart des cas ; le lecteur profitera plus ou moins de l’expérience en fonction de son bagage. Mais l’auteur est là, quand même, pour nous mener sur les chemins moins connus en s’appuyant par exemple sur des étrangers en visite qu’il faut « guider » sans trop en dire. Nous sommes toujours sur le fil : ne pas prononcer un mot de trop, savoir lequel choisir – c’est tout un art.

On retrouve aussi dans ces textes, cet intérêt pour l’humanité par-delà les combats politiques, à moins que ce ne soit cet intérêt qui pousse certains à agir quand d’autres restent en retrait. En effet, ces nouvelles sont avant tout portées par leurs personnages plus que par des causes.

Gordimer ne se gêne pas pour tourner en dérision la bêtise des uns et les préjugés des autres. Elle aime son pays et cela se voit dans sa façon de le critiquer. C’est toujours ainsi que l’on témoigne le mieux ses sentiments, pas en étant lisse, en ne voyant que le bon et en fermant les yeux sur le reste.
La novella Quelque chose, là-bas mêle magnifiquement toutes ces pistes dans une histoire dont la multiplicité des fils donne naissance à un motif à la fois complexe et limpide.


Si l’ensemble peut paraître a priori imposant, il fallait bien cette somme pour toucher du doigt les multiples facettes de ce pays. Chaque histoire ajoute une nuance et contribue à la construction d’une vision plus aigüe de ce qu’était et est l’Afrique du Sud ; en effet, nous voyons les décennies défiler et la politique du pays changer ainsi que les ajustements auxquels doivent se livrer les habitants. Dans la critique de l’Afrique du Sud post-apartheid, on retrouve des questionnements présents dans l’ultime roman du Prix Nobel, Vivre à présent, car bien évidemment tout n’est pas réglé et, si la fin de la ségrégation raciale est une victoire incontestable, d’autres problèmes sont apparus.


Cette anthologie est une excellente façon de passer au crible l’œuvre de Nadine Gordimer car elle y reflète son engagement, son style, ce qu’elle portait en elle, aussi bien en tant qu’auteur qu’en tant que femme.



Ce livre m’a été transmis par l’éditeur.