Chimères – Nuala O’Faolain

Chimères Nuala O'Faolain Sabine Wespieser
Chimères – Nuala O’Faolain
 (My Dream of You, 2001)
Sabine Wespieser Editeur, 2003, 736 pages
Traduction de Stéphane Camille
(existe en poche)


Alors qu’elle approche de la cinquantaine, la journaliste Kathleen de Burca décide de revenir en Irlande, sa terre natale, afin d’enquêter sur une affaire d’adultère survenue au XIXème lors de la Grande Famine. Elle veut connaître la vérité de ce qu’elle imagine être l’histoire d’une passion entre l’épouse d’un propriétaire terrien et leur palefrenier.

Ce roman magnifique évoque de nombreux thèmes passionnants à travers le filtre d’une héroïne inoubliable.

Nuala O’Faolain possède un sens de la mise en scène évident ; le déroulement de l’intrigue fait penser à l’éclosion d’une fleur : un pétale s’étend entièrement et c’est un micro-univers qui se dévoile ; un autre émerge et un nouveau questionnement apparaît. Telle une partition complexe, le roman alterne et entremêle des phrases musicales aux tonalités complémentaires.

On pourrait être tenté d’étiqueter ce roman comme étant féministe mais ce serait réducteur bien que la dimension féministe soit évidente comme dans tous les travaux de l’auteur, fictionnels ou non. Les héroïnes de Nuala O’Faolain sont comme elles : des femmes libres qui mènent leurs vies comme elles l’entendent en dépit de ce que la société attend d’elles. Néanmoins, elles ne se posent pas en égéries du féminisme ; elles sont elles-mêmes tout simplement et ne revendiquent rien d’autre que ce droit dans une Irlande peu encourageante. Cette façon de mettre tant d’elle-même dans Kathleen est certainement ce qui nous rend celle-ci si attachante et poignante.

Si l’auteur ne cache pas sa tendresse pour son héroïne, elle n’en renonce pas moins à la lucidité. Ce double qu’elle s’est créé est particulièrement réussi. L’auteur campe un personnage pétri de contradictions, de défauts, de doutes ; une femme sensible et au bord du gouffre. Les multiples facettes du roman sont notamment représentées par les nombreux questionnements de Kathleen qui se trouve à un tournant de sa vie. On se sent solidaire de cette épicurienne qui s’angoisse de n’être peut-être plus jamais aimée, elle l’éternelle amoureuse. Kathleen est une femme bouleversante qui finit par être rattrapée par son sujet d’étude car les questions que ce dernier soulève sont éternelles.


Le roman alterne intelligemment la période contemporaine et les événements tirés du procès Talbot. Il nous plonge dans la société irlandaise et fut ma première véritable initiation à cet univers. En effet, l’histoire et le personnage de Kathleen sont fortement marqués par l’histoire irlandaise. Le sentiment d’asphyxie qu’elle ressent régulièrement est à peine adouci par les descriptions de la campagne irlandaise.

Nuala O’Faolain a une très belle plume, souvent discrète et simplement au service de l’histoire, mais aussi parfois plus marquée lors de passages descriptifs par exemple. Au détour de phrases, a priori banales, je restais songeuse et troublée par cette faculté de toucher à l’essentiel en quelques mots.

Ce roman m’a beaucoup apporté sur divers plans et chaque fois que j’ouvre un livre irlandais je cherche à entendre à nouveau cette voix qui était unique et qui me manque tant.


Lire le début ici.