Waiting for the Barbarians - J.M. Coetzee
Vintage Books (paperback), 2004, 176 pages
(En attendant les barbares en VF)
« I have never seen anything like it : two little discs of glass suspended in front of his eyes in loops of wire.»
Le Magistrat, homme d’un certain âge, vit tranquillement dans un poste frontière délimitant le territoire de l’Empire et le désert où vivent des nomades, dont les Barbares. Il ne se passe rien et cela convient parfaitement au Magistrat qui ne demande rien d’autre que « a quiet life in quiet times ». Mais cette vie paisible va être bouleversée par l’arrivée de l’effrayant Colonel Joll, bien décidé à trouver des ennemis et à leur faire avouer quelque chose, lui qui croit que la vérité naît de la douleur (et donc que la torture est le meilleur moyen d’accéder à la « vérité »).
Le roman de Coetzee repose notamment sur l’idée qu’une puissance ne peut exister sans un ennemi, même fantasmé : « … once in every generation … there is an episode of hysteria about the barbarians» et que la guerre est une façon de démontrer que l’on est le plus fort (« … what war is about : compelling a choice on someone who would not otherwise make it. ». Bien que représentant de l’Empire, le Magistrat est peu convaincu par cette propagande (« Show me a barbarian army and I will believe. ») mais, en définitive, il laisse dire et se tient à l’écart. Or il apprendra que l’on ne peut indéfiniment rester neutre …
En effet, le Colonel Joll va rapidement montrer de quoi il est capable et, face à un tel mépris pour la justice et le respect de l’être humain, le narrateur se retrouve submergé par des sentiments qui remettent en question son aspiration à la tranquillité. Le Magistrat n’est pas un héros mais il a la « faiblesse » de croire en la décence, en un minimum de justice, de celle qui s’impose par elle-même. C’est ainsi qu’il va se retrouver, presque malgré lui, entraîné dans cette confrontation entre les oppresseurs et les opprimés : « I know somewhat too much ; and from this knowledge, once one has been infected, there seems to be no recovering. » … « All my life I have believed in civilized behaviour ; on this occasion, however, I cannot deny it, the memory leaves me sick with myself. »
Le Magistrat prend peu à peu conscience que, dans un tel contexte, l’inaction relève de la complicité. Il essaiera, à sa manière, de compenser les comportements odieux dont il a été le témoin. Il découvrira peu à peu que réparer une injustice n’est pas une simple question de compensation et qu’un système corrompu infecte tout son environnement. « … I should never have allowed the gates of the town to be opened to people who assert that there are higher considerations than those of decency. » Désigné ennemi de l’Empire pour son comportement jugé trop amical envers les Barbares, il continuera à essayer de plaider en faveur d’un traitement humain de l’Autre. Même si ces hommes sont nos ennemis, ne leur devons-nous pas le respect des droits les plus élémentaires ? Si nous décrétons la guerre, n’est-il pas légitime de s’attendre à une vengeance qui pourrait être comprise comme une forme de justice ?
Coetzee joue avec les mots et les frontières parfois minces qui existent entre eux selon la façon dont on les interprète. Ce livre qui brasse des idées avec beaucoup de subtilité est d’une grande richesse, difficile à rendre dans une simple note de lecture. Il n’y a pas de méchants et de gentils, seulement des gens face à leurs responsabilités, qui ont le choix d’agir librement. S’ériger contre un système est dangereux mais jusqu’à quel point pouvons-nous tolérer l’injustice ?
Il est intéressant de remarquer également que Coetzee utilise le terme « Barbares » dans un sens large qui regroupe ses différentes acceptions. Le Barbare est l’étranger, sans connotation péjorative, il est simplement l’Autre. Le Barbare est aussi celui qui n’est pas civilisé, un sauvage, selon la vision colonialiste. Le Barbare est enfin la brute, celui qui use de violence. A ce titre, Coetzee laisse à penser, par petites touches, que le barbare n’est pas nécessairement celui que l’on nomme ainsi. Cela peut paraître trivial mais Coetzee évite cette ornière avec son acuité intellectuelle habituelle. Avec ce court roman, il nous ramène à la définition même de ce que devrait être la littérature : non pas une succession de jolies phrases mais une mise en texte de thèmes universels et intemporels traités avec conviction et laissant le lecteur se faire sa propre opinion.